Les rééditions de « L’appel de la Forêt »

L’appel de la forêt fut constamment éditée sous de nouvelles formes ou collections, donnant souvent lieu à des ré-illustrations ou des changements dans le texte. Je m’efforcerai dans cet article d’analyser les éditions modernes de ce récit : ainsi, d’entreprendre une comparaison d’une édition récente avec celle dans laquelle j’ai lu le livre, à savoir l’édition Gallimard-jeunesse, collection Folio Junior Edition Spéciale, éditée en 1997. Cette collection fut créée en 1987 par Pierre Marchand mais arrêtée en 2004. Publiant majoritairement des romans, mais aussi des contes, de la poésie et des nouvelles, elle réédite des classiques de la littérature de jeunesse et des nouveautés d’auteurs français et internationaux. L’édition plus moderne que je vais analyser est Nathan Poche, éditée en Août 2007. Collection la plus récente de ce livre, établie précisément dix ans après Folio Junior, Nathan se spécialise dans la production d’ouvrages destinés à l’enseignement et de matériels éducatifs pour les plus jeunes enfants, apportant ainsi de nombreux changements dans la mise en pages et l’iconographie de l’œuvre.

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Le travail éditorial sur les rééditions nécessite en premier lieu un travail de lecture afin d’établir le programme et pouvoir ainsi le proposer. La publication demande aussi un suivi classique de fabrication, à savoir les corrections, le choix des images intégrées dans le récit et la couverture, et la rédaction du texte de quatrième couverture. Dans cette analyse, nous nous intéresserons d’abord à la présentation des éditions de l’Appel de la forêt, lesquelles étant évidemment toutes deux adressées à la jeunesse. Effectivement, Folio Junior est une collection de poche principalement consacrée à la littérature pour les 8-15 ans tout comme l’objectif de Nathan Poche est de publier des livres destinés à un lectorat âgé de 8 à 16 ans. Les deux collections précisent parfaitement le niveau d’âge requis à la lecture de cet ouvrage en quatrième de couverture « A partir de 11ans », l’âge ne pouvant être en-dessous car, bien que le récit soit adapté à la jeunesse et a pour héros des animaux, certaines scènes sont jugées trop cruelles et violentes pour un plus jeune public. L’appel de la forêt est un livre patrimonial édité majoritairement pour l’école et pour inciter à faire entrer l’enfant dans le domaine du livre. Néanmoins, nous pouvons remarquer que Folio Junior Edition Spéciale et Nathan ne partagent pas véritablement le même objectif notamment en vue de la présentation, du paratexte et des illustrations proposées : l’une est avant tout basée sur une lecture de loisir, permettant de ce fait à l’enfant d’entrer progressivement dans le domaine du livre et du plaisir de lire. Tandis que les éditions Nathan, ont pour vocation, depuis leur création, la connaissance et l’apprentissage. Premier éditeur scolaire français, leur mission est en effet centrée autour de l’enfant et de la pédagogie. Il s’agit de « donner goût au savoir, faire progresser sans mettre en échec, distraire intelligemment ». D’où le style très travaillé de l’édition Nathan par rapport à la collection Folio Junior de Gallimard Jeunesse.

L’éditeur, quel qu’il soit, doit prendre en compte le format du livre, c’est-à-dire la reliure, le type de papier, l’imprimerie et l’importance quantitative du texte. Ainsi, Nathan vernit toute la surface extérieure de l’ouvrage et pas seulement la couverture : l’effet « brillant » se remarque sur la quatrième de couverture et le « dos du livre », ce qui donne un effet très soigné de l’œuvre, aspect que l’on regarde en partie notamment lorsqu’on achète le livre. Malgré tout, Folio Junior garde pour sa part une particularité bien à elle : la couverture montrant le personnage de Buck, seuls celui-ci, le titre de l’œuvre et le nom de l’auteur sont vernis tandis que le reste de la surface demeure mat. Il s’agit là d’une façon de mettre en avant le personnage de la couverture bien que cette caractéristique reste plus enfantine. L’un des facteurs importants du travail de réédition est la lisibilité du texte, le contraste entre le noir de l’impression et le blanc du papier qui est à la base de la perception et de ce fait de la lecture. Cependant, Folio Junior offre un papier jaunâtre, de mauvaise qualité, avec une imprimerie assez faible, plutôt petite et dense, ce qui donne un aspect vieilli et fait que la lisibilité est moins bonne, voire compromise, fatiguant le lecteur débutant ou confirmé. Adapté pour l’éducation, Nathan assure en revanche un contraste visuel maximal avec une impression en noir, plus grosse, plus espacée, sur un papier bien blanc. L’effet apporte le sentiment d’une organisation simple mais facilite grandement la formation du lecteur à la lecture. L’édition fait également en sorte que la quantité du texte paraisse moins importante, offrant ainsi moins de mot par ligne.

Dans les deux éditions, le paratexte offre également de nombreuses modifications, la première d’entre toutes se trouvant dans la présentation du titre en couverture assez sobre chez Folio Junior tandis que Nathan, très ponctué sur le visuel, démontre une présentation travaillée : le titre est mise en évidence par de la couleur, entouré de frises décoratives et isolé de l’illustration par un cadre qui se distingue lui-même par un fond coloré. Le résumé de la quatrième de couverture démontre de même une très haute différence : en effet, plus enfantin, Folio Junior laisse place, avec un résumé plus détaillé que chez Nathan, à une présentation illustrée de quelques personnages emblématiques (ici, « Hal, le cruel conducteur de chiens » et « Spitz, l’ennemi mortel de Buck ») ainsi qu’une scène du livre « le repos près du feu ». Cette « liste des personnages » aide dès lors les enfants à entrer dans l’histoire, tandis que Nathan se contente d’un bref extrait consistant à accompagner et préciser le titre de l’œuvre: « Des profondeurs de la forêt, il entendait résonner tous les jours plus distinctement un appel mystérieux, insistant…». Il précise enfin selon quelle adaptation ce livre fut édité « Dès 11ans, adapté au programme scolaire », cette précision délimitant Nathan à sa fonction première: l’enseignement. Si la table des matières est identiquement placée à la fin du récit, il n’en est cependant pas le cas de la présentation biographique de l’auteur et de l’illustrateur que Nathan met tout à la fin, après la table des matières. En effet, suivant sa fonction scolaire, l’édition Nathan va plutôt mettre en avant le texte que l’enfant doit étudier avant les renseignements complémentaires, tandis que Folio Junior rédige ces présentations de façon plus précise et les place au début de l’œuvre, sans doute pour mieux renseigner le lecteur et lui donner une idée de ce qu’il l’attend, en connaissant déjà l’auteur et l’illustrateur. Pour continuer, nous ne notons aucune dédicace ou préface dans les deux éditions, cependant, Nathan dispose d’un postface qui dévoile une facette de la personnalité de l’auteur: « Jack London, le diseur de bonne aventure ». Ce court texte résume sa vie aventurière et explique de même la raison pour laquelle beaucoup de ces récits qui n’étaient pas prévus initialement pour la jeunesse sont tombées entre les mains des enfants: «L’enfance, c’est le rêve et l’aventure qui font le lecteur devenir un vagabond des îles, un héros des siècles futurs ou un dieu tombé du ciel. Les enfants se laissent prendre par la main et par les mots de London. Ils se laissent dériver malgré le mal de mer ou la fièvre de l’or, et ce faisant, ils élargissent leur vie. Ils osent, le temps de la lecture, vivre comme s’ils ne devaient jamais mourir ». De la même façon, la série « Folio Junior édition spéciale » comporte des suppléments sous forme de jeux en relation avec le livre: l’enfant trouve des questionnaires chargés de mettre à l’épreuve ses capacités de lectures et un dossier «le chien dans la littérature» regroupant des extraits de romans mettant en avant le personnage du chien. Il s’agit pour cette collection d’élargir au moyen de jeux et de défis la connaissance et la curiosité du jeune lecteur. Enfin, Nathan rappelle en haut de chaque page de gauche le titre de l’œuvre, et en haut de chaque page de droite le titre du chapitre, élément permettant à l’enfant de vérifier où il en est dans sa lecture sans avoir à consulter la table de matière.

A travers ces multiples différences, nous pouvons néanmoins noter une similitude entre les deux éditions, à savoir la narration. En effet, dans les deux cas, celle-ci a été établie par la même traductrice, Mme de Galard, présentant ainsi un texte identique. Bien souvent, les éditeurs sont confrontés à des choix difficiles à propos du récit, notamment la fidélité: soit le texte intégral est maintenu, soit le texte d’ouverture et les incises sont supprimés. Ici, le texte est identique et donné dans son intégralité sans un seul passage supprimé. On distingue six chapitres chez Folio Junior comme chez Nathan ainsi que la présence de l’unique note de page du livre au chapitre deux, et du même épigraphe en tête du premier chapitre (cette citation est cependant inscrite en italique chez Nathan). On ne dénote aucun saut de ligne supplémentaire, ni alinéas autre que ceux voulus par l’auteur. Malgré tout, si dans l’édition Nathan, le déroulé du texte est ininterrompu, Folio Junior, programmée pour la lecture loisir et donc gardant en elle un style très enfantin, présente un certain nombre d’illustrations qui viennent ’découper’ la narration. Nathan n’accorde en effet que peu d’importance à l’image dans la mesure où, spécialisée dans le domaine scolaire, cette édition privilégie le texte qui va être étudié et soigneusement analysé.

Le texte est ainsi identique mais présente des illustrations qui sont faites d’une façon différente selon les éditions. Chacune a sa propre politique éditoriale: certains illustrateurs travaillent la couleur, le trait du dessin suivant le choix du papier et le format… L’édition Nathan présente de rares vignettes élaborées par Philippe Mignon, lequel a d’abord créé des illustrations pour la presse avant de dessiner pour des films d’animations. Folio Junior comporte de grandes illustrations faites par Philippe Munch, illustrateur passionné par la bande-dessinée, et élaborées de façon diverse: on dénote ainsi plusieurs vignette représentant le héros Buck (une en page de titre, une autre en fin de livre et une dernière sur la page de la table des matières), des bandes intégrées dans le texte mais surtout de grandes planches soit en une seule page, soit en double-page. L’édition démontre toutefois des images simples et griffonnées. Les personnages ne sont jamais représentés de la même façon, donnant l’impression d’un dessin aux traits grossiers, fait rapidement et sans aucun respect des proportions. Cela épuise le lecteur et ne lui donne pas l’envie de découvrir le récit. En effet, l’image enfantine doit être fraîche et claire pour intéresser le lecteur: les enfants rejettent les images agressives qui semblent sales, grossières et brouillonnes. Aussi, Nathan, plus moderne et plus «scolaire», travaille davantage la technique et le détail de ses vignettes, présentant une image plus nette, largement plus agréable aux regards.

Scan0001Dans sa relation avec le texte, l’illustration entretient plusieurs fonctions : elle peut ainsi être décorative tout comme elle peut donner une nouvelle dimension au texte c’est-à-dire orienter le lecteur dans sa compréhension du texte et ajouter de nouvelles informations. Elle apporte des précisions quant à la description des lieux et des personnages, ainsi nous trouvons au début du livre de la collection Folio Junior une carte illustrée dans une double page, représentant la région où se situe l’histoire et le chemin parcouru des personnages, ce qui permet aux lecteurs de se repérer dans le voyage entrepris par le héros et décrit par London. Dans cette même double-page sont également illustrés des portraits des hommes rencontrés par le chien Buck. La succession des images de l’édition Gallimard Jeunesse peut y compris permettre de reconstituer l’histoire et donc de servir de guidage aux lecteurs. Mais l’édition donne souvent des bandes d’images intégrées dans le texte ou du texte intégré dans l’image comme si elle obéissait à la fonction de remplissage de la page. Chez Nathan, les vignettes placées au début de chaque chapitre peuvent entretenir une fonction toute différente : celle de résumer le chapitre qui se termine ou qui va suivre par exemple. En effet, ces vignettes ne se réfèrent pas à une scène en particulier, elles reflètent plutôt une « caractéristique » du récit, contrairement à Folio Junior qui, fidèle à sa fonction de lecture-loisir, présente bel et bien des illustrations très proches de certains passages. De ce fait, même si ces images ne sont pas « belles », elles vont donner envie au jeune lecteur de connaître la scène qu’elle représente.

Pour conclure, au fils des années et des modes, les rééditions et les nouvelles collections ne cessent de paraître, et les œuvres classiques telles que celles de Jack London sont souvent les plus touchées par cette évolution. De plus en plus destinées au programme scolaire, il s’agit de transmettre de nouvelles pratiques de lecture. De plus, on dénote aujourd’hui une réelle importance au visuel. Ainsi, Nathan, l’édition la plus moderne, donne lieu à une présentation beaucoup plus travaillée. Les éditeurs comme les bibliothécaires sont ainsi toujours en recherche de nouveautés pour intéresser le public. Seulement, suivant certaines collections, nous avons remarqué qu’une nouvelle édition n’est pas forcément meilleure : une vieille édition peut souvent apporter bien plus, concernant notamment l’initiation à la lecture d’un enfant.

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