Les enfants et les livres : une grande histoire…

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Après avoir étudié l’identité du lecteur du secteur jeunesse, la place que tient en lui la bibliothèque, et la difficulté du travail d’acquisition et d’organisation de l’équipe bibliothécaire pour ce jeune public, il me semble important d’analyser plus en profondeur la relation de l’enfant avec le livre : j’entends par là les façons dont il va être amené à connaître la littérature et à élaborer en outre ses propres sélections, ses goûts, lesquels vont bien sûr au final influencer les critères de la bibliothèque.

1. L’école et la bibliothèque : un partenariat difficile

Les bibliothèques et les écoles ont en patrimoine commun la littérature jeunesse. Elles sont complémentaires pour favoriser la lecture auprès du jeune public, et sont donc amenées à travailler en partenariat, notamment par le biais de visites mutuelles (les bibliothèques reçoivent en effet régulièrement des classes dès la maternelle, et les bibliothécaires peuvent de même se rendre dans les crèches et les écoles pour parler de la bibliothèque et présenter des livres, raconter des histoires, faits qui vont donner ainsi envie aux enfants de la fréquenter). De plus, « en collaborant, en s’informant mutuellement, enseignants et bibliothécaires enrichissent leur approche concrète de la lecture des enfants » (Note de Geneviève Patte. (1987), Laissez-les lire ! – Les enfants et les bibliothèques. p. 218). Néanmoins, ce partenariat est aussi souvent sujet à des désagréments. En effet, bien qu’ils conservent des objectifs communs : apprendre comment fonctionnent les bibliothèques pour atteindre l’autonomie dans les lieux, favoriser la lecture, l’ouverture vers d’autres cultures, donner le goût de lire, et faire découvrir la diversité et la multiplicité des textes, ils se différencient cependant sur leur perception de la lecture, développant ainsi des politiques différentes. Dans les bibliothèques, l’importance est mise sur la lecture plaisir, l’émotion et l’identification aux personnages. Pour les enseignants, la priorité est la mise à distance du texte, son analyse critique et les dialogues entrepris autour d’un extrait. Ils développent dès lors une opposition quant aux approches de la lecture, l’un encourageant une activité liée au plaisir de lire, l’autre se référant plutôt aux méthodes strictement pédagogiques.

Les enseignants qui fréquentent de ce fait régulièrement le secteur jeunesse établissent au même titre que les autres usagers leurs propres critères. Quels sont-ils ? Il arrive fréquemment que la visite d’une classe soit une occasion pour les élèves d’emprunter des livres pour des exposés ou des fiches de lectures. Ainsi, ces emprunts deviennent des choix obligatoires pour les enfants qui peuvent alors voir, s’ils sont plus jeunes, en la bibliothèque une partie plus ou moins intégrale de l’école. Pour ces exposés et ces fiches de lecture, les élèves vont alors ignorer les albums et les revues pour se diriger naturellement vers les romans (le plus souvent petits et faciles à lire s’il s’agit d’une fiche de lecture) ou les documentaires (s’il s’agit d’un exposé). Des visites peuvent également se faire sous un thème défini à l’avance avec l’enseignant : ainsi, j’ai pu voir un jour lors de mon stage un professeur dire à une classe de primaire de ne pas prendre de bandes-dessinés car ce n’était pas le thème du jour et donc que l’emprunt devait uniquement concerner tel genre de romans ou tel genre de documentaires ou d’albums. Cette technique permet ainsi à l’enfant de développer ses compétences en recherche et de favoriser sa lecture vers d’autres livres qu’il ne connait pas forcément. Enfin, beaucoup d’usagers comme les adolescents ne viennent en bibliothèque uniquement pour les études : il s’agit alors pour l’établissement de pouvoir lui présenter les documents dont il aura besoin, des documents discutant de n’importe quel sujet (de préférence plusieurs documents sur un sujet particulier) afin qu’il ne reparte pas «bredouille». En effet, selon Michel Melot, « le lecteur heureux n’est pas celui qui intéresse le plus le bibliothécaire. Ce qui le tracasse ce sont les absents et ceux qui repartent insatisfaits. Le bibliothécaire ne sera heureux que lorsque toute la population qu’il dessert viendra consulter ».

2. Les politiques de sélection

Les politiques de sélection du lecteur de littérature de jeunesse peuvent être extrêmement diverses. Tel livre va ainsi être choisi en fonction de sa couverture, de son sujet, de l’intérêt donné à son futur lecteur. Mais en dépit de la constante évolution que subit le vaste public du secteur jeunesse, certains ouvrages demeurent incontournables. Quels sont donc ces Fablehavenlivres qui doivent être disponible en permanence, qui se doivent d’être toujours enregistrés dans les fichiers d’une bibliothèque ? Ce sont bien sûr les indispensables et les classiques. Par indispensable, il y a d’abord les œuvres riches qui connaissent un grand succès tels que Harry Potter, Tara Duncan, FableHaven, les séries du Petit Nicholas, et les livres qui gardent toujours la même fraîcheur qu’à l’époque de leur sortie comme les Babar, les Tchoupi, les Petit Ours, les Max et Lily… Les classiques sont enfin ces livres dont la saveur ne s’est jamais perdue de génération en génération, ceux qui ont marqué et servent de « modèles », qui sont aujourd’hui encore toujours étudiés en classe comme les livres de Jules Verne (Voyage au centre de la Terre), de Jack London (Croc-Blanc), de Conan Doyle (Le chien des Baskerville), de la Comtesse de Ségur. Nous pouvons aussi obligatoirement trouvé les ouvrages de Roald Dahl; Robinson Crusoé, de Daniel Defoe; David Copperfield, de Charles Dickens; 35 Kilos d’espoir, d’Anna Galvada, Le Chat assassin, d’Anne Fine, ou les Fables de La Fontaine. Ces livres sont ainsi souvent réédités et la bibliothèque se charge de supprimer les anciennes éditions pour présenter de plus récentes. Enfin, parmi les classiques se trouvent ceux qui, au niveau de l’enfant, de son expérience et de sa compréhension, traite de façon efficace des évènements importants de l’existence tels que la question de la naissance et de la mort, de l’amitié et de la haine, de la justice et de l’injustice, etc…

Les politiques principales de sélection de l’enfant peuvent se baser enfin à partir de la valeur du personnage, des images ou tout simplement du goût et de l’intérêt du sujet. On a pu constater que chaque enfant a un critère défini: les filles vont être plus attirées par des magasines comme «Julie», les romans (aventures et historiques) ou des documentaires sur les animaux, à l’inverse des garçons qui vont 9782912715517davantage se tourner vers les livres de guerre, de chevalerie ou les mangas. Les bandes-dessinées sont également beaucoup empruntés tels que « Titeuf », « Garfield », « Les Profs » ou « Le P’tit Spirou ». Ensuite, dans la littérature de jeunesse, on retrouve deux personnages stéréotypes qui peuvent jouer un élément déterminant dans le choix du lecteur : l’animal et l’enfant. Beaucoup d’œuvres pour la jeunesse mettant en scène un animal ou un enfant deviennent des classiques, c’est le cas de Moby Dick ou du Livre de la Jungle. L’enfant se lie facilement à ce type de personnage qui « fait leçon », qui lui apprend quelque chose plus ou moins indirectement : son rôle consistant à créer une identification immédiate avec le lecteur-enfant, une intimité qui va mener à l’émotion. La question de l’image et de l’illustration peut aussi apporter un certain rôle dans le critère de choix du lecteur actuel : un enfant peut ainsi se baser sur la curiosité et la beauté du contenu d’un ouvrage pour l’emprunter. En effet, lors de mon stage, un garçon de sept ans m’a avoué qu’il regardait souvent d’abord les images du livre et que si celles-ci lui plaisaient, il l’empruntait. Lorsque l’intérêt est en effet éveillé, l’enfant ou l’adolescent peut volontiers se mettre à lire tout ce qu’il pourra trouver sur un sujet en particulier : il dira alors qu’il « passera à autre chose » lorsqu’il aura épuisé toutes les données de la bibliothèque sur ce même sujet.

3. Le parti pris des événements organisés

La bibliothèque organise fréquemment des évènements culturels qui peuvent ainsi amener à donner des idées ou tout du moins à encourager les critères de choix du public de secteur jeunesse. En effet, il ne s’agit pas d’attendre impatiemment l’arrivée des lecteurs et de leurs questions, il faut aussi savoir susciter de la curiosité, donner envie au moyen d’animations, d’expositions et de rencontres afin de motiver le lecteur de littérature de jeunesse contemporain. C’est également un moyen de faire découvrir autour de présentations collectives d’autres œuvres et d’autres genres sur un sujet ou un thème particulier, ces thèmes pouvant être par exemple le cycle de la nature, la gourmandise, les couleurs, l’hiver ou encore les parfums comme j’ai pu le découvrir lors d’un heure de conte organisé durant mon stage à la bibliothèque de Beauchamp.
Des rencontres et des expositions sont également l’occasion de présenter des livres nouvellement enregistrés avant qu’ils « ne soient perdus dans la masse » ou au contraire des ouvrages sortant très peu, voire pas du tout. Ceux-ci peuvent alors avoir une chance de « trouver une nouvelle vie ». En effet, sans présentation active, un livre peut ne jamais être emprunté. Par ces rencontres et ces expositions, la bibliothèque est en mesure de donner envie aux lecteurs de se plonger dans de nouvelles lectures. C’est ainsi dans ces rares cas que plutôt que se laisser influencer par les nouvelles modes et les nouveaux critères d‘aujourd’hui, la bibliothèque peut influencer les choix du lecteur de littérature de jeunesse contemporain, en lui faisant découvrir des ouvrages qu’il ne connaissait pas et donc éveiller son intérêt sur de nouveaux genres.
Pour conclure, l’évolution du public du secteur jeunesse font que la bibliothèque est sans cesse dans l’obligation de revoir ses critères. Afin d’acquérir les livres adéquats et de présenter un rayon pouvant convenir à ses visiteurs, son travail de recherche est constant. D’autant plus que nous sommes dans une époque qui est dorénavant très portée sur le visuel, augmentant sa charge notamment sur la présentation des œuvres et les nouvelles éditions qui paraissent constamment. Enfin, nous pouvons constater aujourd’hui un certain décrochage de la lecture chez les jeunes, majoritairement dû au manque de temps, au passage à l’adolescence et surtout à Internet et autres réseaux sociaux. La lecture de livres et l’usage des bibliothèques publiques sont en effet directement confrontées au développement considérables des consommations audiovisuelles (écoute de la musique, visionnages de films). On passe de même d’une lecture simple à une lecture numérique grâce aux ordinateurs et aux liseuses, si bien que nous parlons dorénavant de bibliothèque numérique « dernier développement de l’action culturelle ».

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Choisir à l’intention du public jeunesse : tout un sport !!

Nous avons pu voir dans la première partie de ce dossier la diversité du public du secteur jeunesse et l’importance que pouvaient avoir sa présentation et sa disposition. La vraie difficulté repose cependant sur les choix d’ouvrages qui vont composer les rayons, ces choix étant bien sûr à l’intention des enfants et des autres usagers de ce secteur. Une tâche nécessitant avant tout un travail d’équipe car acquérir un livre est un acte majeur du bibliothécaire mais également un des plus complexes : l’acquisition est en effet une question de méthode, un processus passant par plusieurs étapes élémentaires, chacune faisant intervenir différents acteurs, différentes compétences et différents outils qui vont les aider à choisir parmi des milliers de titres possibles.

1. Un travail permanent d’enquête

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La génération varie de plus en plus et en raison de ce lectorat variable qui se renouvelle sans cesse, encore plus en jeunesse, la bibliothèque, qui se doit d’être toujours en phase avec la société, est chargée de rendre un travail d’enquête constant et d’observer de ce fait les moindres déplacements de ce public mais également des éditeurs, ces derniers rééditant de même régulièrement. Les bibliothécaires essaient donc de suivre et de réactualiser le plus souvent possible leur collection afin que celle-ci demeure dans les critères des lecteurs. Ainsi, les sélections ou présélections passent d’abord individuellement puis sont présentées lors de réunions d’équipe et groupes de lecture où les points de vue sont confrontés et au cours desquels les bibliothécaires échangent et débattent de l’opportunité de faire entrer tel ou tel titre dans la collection. Afin de parvenir à ces résultats, ce travail d’enquête nécessite cependant également des fouilles régulières qu’elles soient entreprises sur des sites Internet tels que les forums ou les blogs (lesquels vont fournir le plus souvent des critiques positives ou négatives sur différents ouvrages) ou au moyen d’outils professionnels comme les revues (« Citrouille » ou « lecture jeune  ») ou autres livres hebdomadaire spécialisé pour la littérature de jeunesse. Ces revues, indispensables à toute bibliothèque pour la jeunesse, propose en effet des réflexions, des informations rapides sur le secteur et présente également des choix de livres ou des nouveautés pouvant être classées par genre ou par âge. La bibliothèque peut de même consulter régulièrement des suggestions de la part des lecteurs par l’intermédiaire de questionnaires ou de « cahier de suggestion » soigneusement mis à leur disposition, la parole des usagers étant évidemment un élément plus qu’essentiel dans les critères de choix des bibliothèques quelque soit le secteur. Ces outils professionnels (revues, blogs et cahiers de suggestion) permettent entre autres en plus de révéler les lectures du moment, de nous renseigner davantage sur l’identité du lecteur de littérature de jeunesse contemporain.

2. La politique documentaire

Les méthodes d’acquisitions nécessitent enfin des visites en librairie. Ces sorties, faites selon un planning défini, sont ainsi l’occasion de « repérer » tout d’abord les ouvrages qui s’y présentent (et parmi ceux-là, les livres répondant aux critères demandés) avant d’établir un quelconque achat. Comment choisir en librairie ? Quels sont justement ces critères, cette politique d’acquisition ? En d’autres termes, quels sont les livres susceptibles d’intéresser en premier lieu l’équipe bibliothécaire ? Plus ou moins déjà influencés par des idées données lors des réunions et obéissant à une politique documentaire qui délimite ces choix, les employés entretiennent une première approche sur les couvertures et les critiques.stre Ils observent cependant principalement les nouveautés, les « coups de cœur » établis sur les présentoirs et les rayons, qu’ils soient adaptés pour les petits ou les adolescents. Enfin, si la bibliothèque a commencé une série (de romans comme « Cherub », « La guerre des Clans», «Légendes du Monde émergé» ou de mangas tels que «Détective Conan » et « One Peace »), elle va s’efforcer du mieux qu’elle peut de la suivre et de la finir si possible. Les ouvrages achetés sont ensuite catalogués, c’est-à-dire enregistrer et classés dans un secteur précis. Rares sont ce qu’on appelle les « erreurs d’acquisition » c’est-à-dire les livres n’ayant pas leur place dans les collections, ceux qui sont « ‘hors sujet’ par rapport aux limites fixées dans la politique documentaire de l’établissement » (note de Yves Alix, Le métier de bibliothécaire, Edition du Cercle de la Librairie, 2013, p. 189), dans la mesure où la bibliothèque possède des outils informatiques permettant d’éviter ces problèmes. Il existe cependant des erreurs d’emplacement : un livre peut ne pas être emprunté parce qu’il n’a pas été classé correctement et dans ce cas, il doit être déplacé dans un autre rayon afin de voir s’il intéresse les lecteurs, s’il « vit », et cela jusqu’à ce qu’il trouve sa place, jusqu’à ce qu’il soit adapté pour le « bon » public.

L’informatique peut ainsi jouer un rôle primordial notamment dans la recherche documentaire. En effet, pour un bon nombre d’usagers (dont une part peut entreprendre une recherche particulière sur un sujet fondé pour un exposé par exemple), la bibliothèque est intimement associé au fait d’emprunter des documents. Ils ont donc tout naturellement besoin de savoir lesquels existent et à quel endroit ils pourront se les procurer. Ainsi, le système informatique des bibliothèques disposent de logiciels qui vont pour certains distinguer et informer sur le genre et la localisation exacte des documents mis à disposition, et pour d’autres tels que Revodoc servir de catalogue général sur les documents, de catalogue collectif servant de prêt aux autres bibliothèques. Car en effet, la bibliothèque entretient des partenariats avec différentes autres bibliothèques : ces partenariats servent à multiplier les ressources. En cas de demande d’un ouvrage qui ne figure pas dans le catalogue de l‘établissement, la bibliothèque est en mesure de contacter d’autres entreprises avec lesquelles elle peut entreprendre des échanges. Ces emprunts permettent ainsi de pouvoir toujours présenter aux lecteurs des offres nouvelles et pertinentes, de conserver au public l’idée d’offrir de la nouveauté afin de ne pas le lasser et le désintéresser.

3. Le désherbage et ses critères

Que la bibliothèque soit une grande ou une petite structure, nous avons pu remarquer que l’espace est un sujet primordial, de ce fait, le pilonnage des livres est fréquent. Aménager un secteur à l’intention des lecteurs -jeunesse comme adulte- ne consiste en effet pas seulement à acquérir et à ranger les ouvrages sous quelque classement soit-il, mais aussi à « aérer » les rayons, c’est-à-dire à supprimer des volumes. pilon_sPourquoi désherber ? Il s’agit de rendre avant tout une image différente de la bibliothèque, élément important pour attirer et fidéliser les usagers. On désherbe alors les collections pour améliorer l’actualité et la pertinence (Tout document ayant plus de cinq ans doit être repassé en revue car il peut être devenu obsolète. C’est également le cas pour les guides touristiques, et les fictions et documents d’actualités qui peuvent vite changer), pour améliorer l’état de conservation (désherber est aussi faire réparer et relier : étant un service publique, la bibliothèque se doit de proposer un service de qualité et de ce fait offrir des ouvrages soignés, agréables à lire, et donc acceptables physiquement), et enfin faire de la place. En effet, en plus de permettre une meilleure satisfaction des usagers qui n’y trouveront ainsi que des documents pertinents, à jour et correspondant aux besoins des différents publics, le désherbage donne une meilleure visibilité de la collection. Ainsi, il permet un gain de place, un gain en terme d’image, en terme d’argent, une meilleure connaissance du fond et une cohérence dans le discours de l’équipe par rapport aux collections.

Pour pouvoir donner cette « nouvelle image », désherber demande cependant une certaine méthode. La question est ainsi la suivante: Quels sont les ouvrages à conserver ? Quels sont ceux à supprimer et selon quels critères ? Ainsi, un livre sera désherbé s’il est trop abîmé et irréparable (tâché, surligné, écrit ou déchiré), ou inadapté à la collection ou aux missions de la bibliothèque (l’ouvrage ne correspondant pas au fond recherché par la politique documentaire est très vite en inadéquation avec la population). La bibliothèque tiendra également compte de son âge et de son usage, c’est-à-dire du nombre de fois où il est sorti ces cinq dernières années. J’ai ainsi vu durant le stage un volume de jeunesse à la couverture et aux pages impeccables mais qui n’avait été emprunté qu’à peine une fois ou deux en l’espace de trois à quatre ans. Ce même ouvrage a aussitôt été enlevé de la collection car il n’intéressait personne. De même, une édition trop vieille peut également être une raison suffisante pour éliminer un livre (ce fut par exemple le cas d’une édition de Robinson Crusoé dont la présentation et l‘illustration n‘étaient plus aux goûts des lecteurs du secteur jeunesse), celui-ci sera alors racheté sous une édition plus récente et plus susceptible d’attirer le regard du lecteur de littérature jeunesse. L’usager contemporain étant en partie sensible à l’aspect physique de l’œuvre, la bibliothèque désherbe aussi tout livre jauni, aux tranches grises ou noires, à la code barre en pleine milieu de la couverture, au titre ou à la quatrième de couverture illisible, ainsi que tous les livres reliés cuir ou toilé qui sont facilement vieillissantes. Enfin, le désherbage peut être entrepris selon des critères d’actualités comme indiqué précédemment : c’est le cas des documentaires dont les contenus deviennent vite obsolètes, les ouvrages sur l’informatique (étant vite dépassés) et les revues.

La littérature de jeunesse : un secteur ouvert à tous !

1. Un public très divers

Comme son nom l’indique, le secteur jeunesse touche à première vue un horizon de lecteur particulier, c’est-à-dire basé sur un public essentiellement identifié comme jeune : par cela, j’entends…

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le nourrisson,                                          l’enfant                            et                     le martien….pardon, l’adolescent.

Ce qui forme déjà un ensemble de lecteurs vaste et plus ou moins difficile à satisfaire. En général, l’âge du secteur est compris entre 0 et 14 ans, l’espace adolescent comprenant, dans la bibliothèque où j’ai établi un de mes stages, les âges suivants : onze, douze, treize et quatorze ans ; au-delà, le lecteur est dès lors considéré comme « apte à fréquenter » l’espace adulte. Le secteur accueille donc prioritairement les enfants mais aussi leurs accompagnateurs lorsque l’enfant ne peut se rendre seul à la bibliothèque, ces accompagnateurs étant les parents mais nous pouvons également remarquer la présence de nounous ou de grands-parents (lesquels viennent par ailleurs souvent choisir et emprunter eux-mêmes des ouvrages à remettre à leurs petits-enfants lorsque ces derniers viennent leur rendre visite). Nous avons dès lors une première idée sur les choix de ce public : ainsi, si les enfants viennent en étant sûr de trouver quelque chose, consommant alors presque « au hasard » et n’ayant donc pas véritablement d’horizon d’attente, les parents quant à eux, tout comme la majorité des adultes, ne savent pas ce qui se fait aujourd’hui dans la littérature de jeunesse et restent majoritairement soit sur les classiques tels que les Dora ou les Tchoupi, soit sur ce qui connaissent déjà parce que c’est-ce qu’ils lisaient à l’âge de leurs enfants. Nous pouvons alors désigner en exemple les séries albums comme Martine.

En dehors du cercle familiale, il existe en jeunesse un tout autre type de public. En effet, il n’y a évidement pas que les enfants qui lisent les livres leur étant destinés. Un certain nombre d’adultes sont ainsi lecteurs de littérature d’enfance et de jeunesse que ce soit par métier ou par simple loisir. On décompte ainsi tout d’abord des éditeurs et des membres de comité de lecture, des bibliothécaires et des enseignants eux-mêmes (principalement axés cependant dans les petites classes et les sections primaires), ceux-ci capables alors de juger et de guider les jeunes lecteurs. D’autres professionnels se joignent également au secteur jeunesse pour emprunter et découvrir ou faire découvrir, comme c’est le cas de nombreux soutiens scolaires ou assistantes maternelles. La bibliothèque peut accueillir de même des personnels de centres de loisir, de centres culturels, de différents services de la ville et bien sûr de membres d’associations de lecture. Ces mêmes adultes peuvent enfin se retrouver en position de lecteurs-médiateurs pour des enfants qui ne savent pas encore lire ou qui aiment ce lien créé par la lecture à voix haute telle qu’on le retrouve par exemple dans les crèches ou dans les petites classes. Rien n’empêche ces adultes cependant de lire ces ouvrages empruntés pour leur propre compte (on découvre des amateurs de romans pour adolescents par exemple). S’agissant d’albums, ils peuvent ainsi retrouver les souvenirs de leur lecture d’enfance ainsi que les raisons pour lesquelles ils ont jadis apprécié ou détesté tel passage ou telle illustration. De ce fait, le secteur jeunesse est un espace assez ouvert, qui, en dépit d’un critère d’âge tout désigné, accueille un public extrêmement divers, pouvant aller du simple enfant de bas âge, jusqu’aux grands-parents en passant par l’adulte lecteur de livres de jeunesse.

2. La place de la bibliothèque dans la vie de l’enfant

La bibliothèque entretient chez l’enfant une place importante que ce soit dans son apprentissage ou simplement dans ses relations. Elle lui permet notamment une certaine libération, en d’autres termes de lui servir plus ou moins de refuge dans certains cas. Selon Geneviève Patte, elle serait ainsi pour eux une occasion de vaincre l’ennui et la solitude; les parents travaillant la journée, en revenant de l’école par exemple, ils trouvent en effet une maison souvent vide. Beaucoup d’enfants viennent donc à la bibliothèque pour y passer le temps et pour s’occuper. De plus, la lecture étant un acte solitaire espacejeune1demandant du calme et de la concentration, lire seul chez lui peut effrayer l’enfant et le détourner du livre à cause du malaise provoqué par cette solitude et ce silence souvent angoissant. Il va du fait préférer lire en compagnie, « là où le calme et la concentration des autres aident au calme et à la concentration personnelle ». Les rencontres qui s’y font, qu’elles soient volontaires ou non, vont notamment l’aider à se construire selon son propre rythme et ses envies. La bibliothèque est bien souvent un lieu où les enfants peuvent trouver les moyens de découvrir, de développer des relations, d’accepter ou de rejeter ses modèles, de se chercher en d’autres termes. D’autant plus que l’établissement offre souvent une atmosphère accueillante qui tient notamment aussi au mobilier et à sa disposition. Sans pour autant créer un «cadre douillet», elle laisse place à un « cadre harmonieux » qui aide à se sentir à l’aise. Les enfants trouvent alors la position qui leur convient, exactement comme dans leur chambre, facilitant ainsi leur lecture ou leurs discutions, en récupérant notamment leurs habitudes dans un milieu qui le leur permet.

Mais à travers cette libération se cache néanmoins bel et bien la question d’apprentissage, selon le rôle et les services donnés par la bibliothèque à ses lecteurs et spécialement son public enfantin, ces mêmes missions fondamentales présentées dans l’introduction de ce dossier, à savoir véritablement transmettre et communiquer l’information, l‘alphabétisation, l‘éducation et la culture ; créer et renforcer l’habitude de la lecture chez l’enfant dès son plus jeune âge. Ainsi, la question est : va-t-elle présenter en particulier des livres uniquement pour instruire ou pour amuser à son jeune lecteur ? Quel livre choisi va instruire en amusant ? Apporter uniquement du plaisir ? Ou instruire le plaisir ? Dans la littérature de jeunesse, l’apprentissage y est toujours déguisé : elle apparaît au premier abord comme un amusement mais cache en fin de compte une tout autre fonction, celle d’apprendre. Le livre oscille ainsi souvent entre leçon et jeu, entre l’agréable et l’utile. Le tout est de savoir quel côté sera le plus marquant pour l’enfant, quel livre présentant l’une ou l’autre de ces faces va-t-il, lui ou ses parents, choisir en premier ? Et si cela va l’amener à lire davantage ? A toujours considérer en grandissant la bibliothèque comme véritablement un refuge chargé de l’aider à se trouver et à se construire, ou au contraire la considérer juste comme une autre version de l’école qu’il fréquente la majorité de son temps et fuit ?

3. Aménagement des espaces

Comment s’orienter dans la bibliothèque ? Comme dit précédemment, la présentation et l’organisation de l’espace est un des critères les plus importants de la bibliothèque. Celui-ci va en effet permettre au lecteur de se sentir rapidement à l’aise mais aussi et surtout de l’aider dans sa recherche et de favoriser ses choix d’ouvrages.

« L’appréhension de l’espace par les publics est le fruit d’un nécessaire repérage visuel immédiat : la personne qui entre doit comprendre très rapidement comment s’organise l’espace, sans avoir à se livrer au décryptage d’un plan ou à suivre un « jeu de piste » signalétique. Les choix d’ambiance sont pour cela déterminants : une atmosphère, une couleur par espace ou par étage, voire un type de mobilier, facilitent cette approche ». Note de Yves Alix, Le métier de bibliothécaire, Edition du Cercle de la Librairie, 2013, p. 331.

Pour un enfant, la recherche directe sur les rayons est la démarche la plus spontanée. Cherchant souvent au hasard, sans véritable horizon d’attente, c’est cette promenade vagabonde qui va lui suggérer telle ou telle lecture. L’essentiel de la présentation repose de ce fait dans un premier temps sur l’aspect du livre qu’il va trouver dans les bacs et les rayons, sa couverture, ses illustrations avant de se fixer sur le sujet lui-même, le critère visuel étant par ailleurs de plus en plus sollicité Photo0107de nos jours. Ainsi, les nouveautés, livres propres à mettre en avant sitôt disponibles, seront placés de préférence sur les lieux de passage, là où il est certain que le regard d’un lecteur se posera et dont le titre accrocheur ou la couverture éveillera sa curiosité. Le classement établi dans le secteur peut de même se baser sur un système de couleur et de pictogramme. C’est du moins la façon dont ce classement était plus ou moins élaboré à la bibliothèque d’un de mes stages : par sa couleur ou sa forme, la cote d’un livre pouvait préciser le genre de littérature (James Bond pour les policiers par exemple). Une pastille de couleur pouvait de plus indiquer le niveau de lecture: bleu pour les adolescents ou jaune pour les «Premières lectures».

Mais malgré tout une bonne présentation ne suffit pas. L’efficacité d’un secteur repose y compris sur un classement précis, établi selon des critères spécifiques qui va développer l’intérêt du jeune lecteur et également l’accompagner davantage et avec plus de succès dans sa recherche, surtout dans la mesure où celle-ci est définie. Ainsi, le secteur jeunesse peut établir des classements en différentes catégories : cela peut être selon le type de littérature (simple roman, revue, album, documentaire), l’âge, voire même le sexe du lecteur, ou encore son niveau ou ses compétences de lecture (et dans ce cas, établir alors un « parcours de lecture » tel était le projet que désiraient entreprendre les bibliothécaires de secteur jeunesse comme celle de Beauchamp par exemple). Dans l’établissement où j’ai fait mon stage, le secteur était par exemple défini en cinq pôles qui allaient de la «petite enfance» jusqu’à l’espace « ados » en passant par les «Apprentis lecteurs », les « Juniors » et les « Documentaires ». Chaque pôle se répartissait également en d’autres catégories: ainsi, la « Petite Enfance » réunissait des albums, des CD livres et des revues (Tralalire, Popi, Picoti, Histoires pour les petits); le pôle «Apprenti Lecteur» réunissait des albums, des livres-animés et des livres-jeux et de petits livres classés «Premières lectures»; le pôle « Junior » réunissait les contes (eux-mêmes classés par genre : contes africains…), les premiers romans, les romans jeunes et d’autres revues telles que « j’aime lire » ou « J’apprends à lire ». Enfin, les documentaires se découpaient également en plusieurs pôles : société (philosophie, religions, mythologie, politique, langues…), histoire, art (Architecture, peinture, littérature), vie pratique et science. Un espace pour les bandes-dessinées était également mis à disposition, de même qu’un espace de revues pour les parents et les professionnels, celles-ci mettant en relief l’enfant et sa relation avec la littérature (certaines parlaient y compris de littérature de jeunesse, littérature pour la jeunesse, littérature d’enfance…, et d’autres servaient en revanche d’indications de ce que les jeunes lecteurs pouvaient lire aujourd’hui et quels étaient les succès du moment).

la bibliothèque et le public de la jeunesse

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Les deux derniers articles concernaient le rôle de la bibliothèque et les politiques de conservations, lesquels sont loin d’être négligeables autant sur le livre lui-même que sur les éditions. Bien souvent, une édition est rejetée ou ignorée parce que dite « vieille ». Pourtant, une « vieille » édition peut apporter autant de bienfaits qu’une « moderne ». Mais ceci, nous l’avons vu avec l’article sur les éditions de « L’Appel de la Forêt ».

Je voudrais dorénavant insister davantage sur la relation de la bibliothèque, et des enfants et tout autre usager du secteur de la jeunesse. Puisque, à ce jour, la section enfantine est considérée comme un des éléments les plus importants de la bibliothèque publique. Celle-ci entretient un rôle essentiellement social et éducatif auprès de son public : celui de transmettre et de communiquer toute information et toute culture. Elle va contribuer à faire connaître aux enfants le patrimoine culturel et apprécier les arts ; à créer et renforcer l’habitude de la lecture chez l’enfant dès son plus jeune âge ; à faciliter l’étude individuelle ; à favoriser l’épanouissement créatif de la personnalité, à soutenir la tradition orale, et les activités et programmes d’alphabétisation destinées à tous les groupes d’âge.

En d’autres termes, je veux, à travers ces prochains articles, vous emmenez un peu plus dans l’univers du lecteur de littérature de jeunesse contemporain en bibliothèque et ses critères de choix lorsque ce lecteur ose entrer dans l’antre poussiéreux mais plaisant et éducatif des bibliothèques.

Je dis « ose » puisque depuis quelques temps, nous notons une certaine absence de fréquentation en bibliothèque majoritairement dû au manque de temps, au manque d’habitude voire à des horaires inadaptés. Ce « frein » à la fréquentation et à l’image de la bibliothèque toucherait cependant particulièrement l’espace jeunesse qui ne cesse d‘évoluer et de se diversifier. Les enfants et les adolescents viennent en effet de moins en moins à la bibliothèque, ce qui oblige le personnel à revoir ses rayons et ses méthodes pour assurer à nouveau l’intérêt de ce public vaste et en constant changement.

La question est maintenant la suivante : Dans quelles mesures et de quelles façons le lecteur de littérature de jeunesse contemporain influence-t-il les critères de choix établis par les bibliothèques ?

Je parlerai avant tout sur le secteur jeunesse en fonction de la place qu’il occupe dans la vie de son public -ici majoritairement l’enfant- et de son aménagement organisé selon des critères spécifiques. Puis, de ce casse-tête qu’est de choisir à l’intention des enfants (le bibliothécaire se fait détective, analyste, psychologue… et accessoirement bourreau dans la mesure où certains livres doivent être supprimés. C’est malheureux mais c’est ainsi : je mentionnerai à nouveau plus ou moins fortement la question de la conservation). Enfin, je publierai la question de la relation des enfants et des livres : la complexité du partenariat avec l’école, les politiques principales de sélection de l’enfant (l’enfant peut être particulièrement cruel et… surprenant parfois…) et des événements organisés par l’établissement.

Compte-rendu critique d’un article de Nic Diament

Mon compte-rendu de lecture d’article se portera sur la rédaction de Nic Diament « De la littérature de jeunesse considérée comme objet patrimonial ». Ce texte fut ainsi écrit en Juin 2004, dans le Bulletin des bibliothèques de France, et il est également accessible sur le site Internet de l’ENSSIB.

J’ai principalement choisi de faire mon compte-rendu sur cet article dans la mesure où il met en évidence un sujet important mais cependant rarement évoqué lorsque l’on parle de bibliothèques -adultes comme jeunesses- en dépit de son essentialité pour les lecteurs : la conservation des livres de la jeunesse, jugé par l’auteur mais aussi par de nombreuses autres personnes comme un objet patrimonial. Le livre en général est en effet resté un héritage commun dans n’importe quel pays, un des biens les plus précieux et les plus vieux. Il en va de même pour la littérature enfantine qui possède son propre côté « rare et précieux, à défaut d’être ancien ». Ce texte met donc en avant un des points intéressants, déjà abordé lors de la rencontre mais en y apportant un certain éclairage, un approfondissement qui pourrait très bien m’être indispensable plus tard, en tant que future bibliothécaire. Archiviste-paléographe et directrice de la Joie par les livres, après avoir exercé à la BDP de l’Oise, à la Bibliothèque publique de Massy, à la bibliothèque de l’Heure joyeuse, à Médiadix et à la BPI, Nic Diament est l’auteur du Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse : 1914-1991. Elle est de ce fait assez proche de la littérature de jeunesse et intervient principalement dans son article sur la mise en place assez récente des politiques de conservation des livres pour la jeunesse et son accomplissement : elle évoque la légitimation de son statut, la question des critères de conservation en fonction de ce qu’on peut nommer un « bon » ou un « mauvais » livre. Puis, elle continue sur la vulnérabilité de ces ouvrages, de cette préservation, et enfin de ce qu’elle apporte au public en précisant les gisements documentaires les plus importants en France.

Toutefois, comme le précise l’auteur, cette mise en place de politiques de conservation des ouvrages pour la jeunesse dans les bibliothèques publiques peut faire face bien souvent à quelques éléments problématiques. Se forment alors les questions suivantes : Comment peut-on placer en réserve des livres usagés ou abîmés que ce soit par le temps ou par des lecteurs peu soigneux? Cette notion de patrimoine ne se dirige-t-elle pas à des livres en bon état malgré le temps, plutôt qu’à des livres maltraités, incomplets, mais introuvables ? Ou encore : quels œuvres méritent d’être conservés ? Il s’agit en effet de soucis et de débats qui ont souvent été constatés et longuement travaillés sans parfois obtenir de réponses -pour certains ouvrages du-moins, comme j’ai pu moi-même le découvrir lors de stages en médiathèque. L’auteur s’efforce cependant de répondre et de développer ces questions dans son écrit.

Pour introduire son article, Nic Diament explique plus précisément la question d’ancienneté, de commencement et d’évolution de la préservation des livres pour la jeunesse qui, en matière de bibliothécaires des sections jeunesse, n’est pas « une préoccupation récente ». Il prend en exemple l’Heure Joyeuse dont les créateurs avaient pour projet d’ouvrir un « fond historique » afin de montrer aux jeunes lecteurs l’histoire de la littérature de jeunesse, et affirme la création de nouveaux fonds au cours des années suivantes, augmentant ainsi l’importance de cette fonction de conservation au point d’en acquérir une dimension patrimoniale. « Méritaient déjà d’être mis en réserve, recherchés ou collectionnés les livres pour les enfants d’autrefois » dans la mesure en effet où ces ouvrages permettent d’entrevoir différentes formes et styles d’écritures, raconter des contes et autres histoires moins répandus de nos jours et augmenter notre culture littéraire. Car la littérature de jeunesse est devenue, selon les mots exacts de Nic Diament, « un objet d’études et de recherches universitaires ». Nous avons effectivement pu le découvrir lors des cours et des dossiers à accomplir à l’aide d’un nombre important de livres l’ayant travaillé, comme c’est le cas d’Isabelle Nières-Chevrel (Introduction à la littérature de jeunesse), de Francis Marcoin et de Christian Chelebourg (La littérature de jeunesse)… Ces livres nous ont ainsi été utiles pour approfondir nos connaissances sur l’évolution de la littérature de jeunesse, sur les divers genres d’ouvrages qui ont été confectionnés au cours des années, et pour travailler plus précisément sur le symbole des personnages et la vision de l’enfant.

Nic Diament poursuit son article sur le rapport existant entre la qualité de cette production et les critères de conservation, nous amenant ainsi sur la problématique des livres méritants d’être conservés et donc la notion de « bons livres ». Elle prend pour exemple le XIXe siècle où chacun devait garder une grande attention sur leurs lectures mais ce critère de sélection a évolué depuis, présentant alors des livres choisis en fonction de leurs qualités littéraires mais aussi esthétiques (l’auteur entend par cela la reliure, la couverture qui peut être un élément essentiel : une belle présentation attire souvent les regards et donc les intérêts). Elle ajoute de même dans ces critères une liste de best-sellers pour la jeunesse, représentation d’un « fond de la culture de base commune d’une génération ». Nombre de parents évoquent en effet des souvenirs de lectures d’enfance tels que le Club des Cinq ou d’autres classiques plus anciens encore. Les « mauvais » livres renseignent aussi bien sur l’évolution des mentalités, étant tout aussi appréciés par les enfants, donc très utilisés également. Néanmoins, l’auteur poursuit sa thèse sur la question de la vulnérabilité spécifique de conservation qui touche chaque livre pour diverses raisons : la première étant la rareté des livres conservés dans les familles lorsque l’enfant grandi. J’ai pu moi-même le découvrir lors d’une critique que l’on devait faire sur un album de jeunesse, lequel ayant une date spécifique à respecter, et j’ai en effet constaté pendant mes recherches que rares sont les familles dont les enfants sont trop grands à posséder encore des ouvrages répondant à ces critères, ces livres finissant le plus souvent dans des brocantes. Pour continuer, l’auteur fait référence aux nombreux livres pour la jeunesse ayant été désherbés par manque de place ou d’information, des livres parfois indisponibles et peu réédités voire entièrement disparus. Ces évènements peuvent ainsi provoquer de graves problèmes : en effet, pour un dossier important, je devais travailler sur un recueil du fabuliste Jean-Jacques Boisard (1777). Ne le trouvant pas, je me suis donc tournée vers les livres d’occasion de certains sites internet qui laissaient apercevoir des prix exorbitants dus à sa rareté. J’ai néanmoins pu le trouver sur un autre site qui conservaient certains ouvrages introuvables. Les bibliothèques et les sections pour la jeunesse jouent donc un rôle important, étant le plus souvent des « lieux de mémoire s’inscrivant dans un processus de préservation d’un patrimoine » pour toutes sortes d’œuvres, qu’elles soient anciennes ou récentes, ayant perdu une certaine valeur au cours du temps, se transformant donc en « objets patrimoniaux ». On remarque toutefois que ces livres mis en réserve dans des bibliothèques ou des magasins peuvent s’adresser à un public constitué par exemple d’étudiants ou de chercheurs chez qui ces livres représentent d’essentielles sources d’informations, voire aux éditeurs désirant rééditer une certaine œuvre.

Nic Diament termine son article en informant sur les principaux établissement réunissant les plus grands fonds de conservations, parmi ceux-ci La Bibliothèque nationale de France qui est le gisement documentaire le plus riche de France, l’Heure Joyeuse dont le fonds historique regroupe, comme nous avons pu l’apprendre lors de la rencontre avec Viviane Ezratty, plus ou moins 50 000 ouvrages du XVIIIe siècle à nos jours, et enfin la Joie par les livres où se trouvent un fonds d’environ 170 000 livres pour enfants.

Synthèse d’une rencontre avec un professionnel des métiers du livre lié à la jeunesse

Ma synthèse se portera sur la rencontre avec Viviane Ezratty, conservateur en chef et directrice de la bibliothèque L’Heure Joyeuse, laquelle est située à Paris.

viviane ezrattyDirectrice de l’Heure Joyeuse depuis vingt-cinq ans, Viviane Ezratty intervient principalement sur la valeur apportée à la littérature de jeunesse et son accomplissement envers les nombreux lecteurs qui visitent l’établissement. Ainsi, au cours de cette petite conférence, nous avons pu abordés plusieurs thématiques précises : tout d’abord, l’histoire des bibliothèques pour la jeunesse (L’Heure Joyeuse, la Joie par les livres…), puis, les modèles de l’enfance. Nous avons également évoquer les évolutions actuelles, celles-ci passant bien sûr par l’aménagement, la politique d’acquisition, la conservation partagée, les relations avec les différents publics dont l’école, et par le livre numérique. Enfin, nous avons pu discuter des formations des bibliothécaires pour la jeunesse, dernière information tout à fait primordiale pour tous ceux qui souhaitent entreprendre une profession de bibliothécaire autant pour la jeunesse que pour la littérature en général, comme c’est mon cas.

Pour commencer son intervention, Viviane Ezratty va mettre en évidence ce qui qualifie majoritairement la bibliothèque de jeunesse. Ainsi, nous avons exposé l’importance de la médiation et de l’aménagement de l’espace, c’est-à-dire la couleur, le mobilier adapté, la circulation énergique des petits lecteurs, la lecture et les documents dont le contenu et le format peuvent être à la fois contrastés et très variés. Elle précise également les nombreuses nouveautés qui touchent chaque année la bibliothèque de jeunesse, laquelle étant toujours en phase avec la société et la façon dont nous pouvons considérer les enfants mais aussi l’édition. Mais quelles peuvent être les permanences de cette évolution, les tendances de cette marge?
Pour répondre à cette question et appuyer ses propos, Viviane Ezratty va commencer par expliquer l’histoire des bibliothèques pour la jeunesse en prenant évidemment pour exemple son propre établissement. Ainsi, les premières bibliothèques pour la jeunesse apparaissent en France dès le lendemain de la Première guerre mondiale, fondées par des comités américains. Il faut savoir que ces bibliothèques jeunesse existent aux USA depuis le XIXème siècle : il s’agissait à leurs yeux d’un lieu à part où l’on mélange les arts et les milieux sociaux. L’Heure Joyeuse ouvrit alors à Paris en 1924, avec Claire Huchet, Marguerite Gruny et Mathilde Leriche qui furent les premières à exercer le métier de bibliothécaire pour la jeunesse en France. Dès sa naissance, L’Heure Joyeuse fut vue comme une expérimentation et démarra avec l’ambition de créer une belle utopie : il s’agissait d’aider à construire une paix en proposant un modèle qui se diffuserait dans tous le pays. La place de la bibliothèque demeure de ce fait une sorte d’institution formatrice des futurs citoyens issus de populations très diverses. Novateur également pour l’époque, la bibliothèque offrait la possibilité d’un public mixte.

Viviane Ezratty poursuit sur la question des modèles et de l’incitation à la lecture: le projet en effet allait dans la prise en compte des besoins des enfants en mettant en priorité les théories pédagogiques de « méthodes actives » afin que l’enfant soit actif au savoir au moyen des livres, et le former également à l’autonomie sur ses recherches et ses consultations. Il s’agit dès lors d’impliquer l’épanouissement et la connaissance, de promouvoir le livre et à la lecture en proposant de raconter des contes « pas très connus » mais aussi des activités de théâtre, la création d’exposition.. Elle continue sur les politiques de reconstructions et d’émergences en précisant les évolutions actuelles des bibliothèques de jeunesse autant sur le point aménagement que conservation et relation avec le public. Ainsi, « La Joie par les livres » par exemple continua à se développer en 1965. De nombreuses créations dans la médiation et l’animation furent envisagées et créées dans le but de donner un certain « coup de fouet ». De même, l’Heure Joyeuse déménagea en 1974 pour gagner des locaux plus importants et mettre à disposition aux jeunes lecteurs de nouveaux prêts et activités, dévoilant ainsi la possibilité de montrer la richesse de l’édition pour la jeunesse. Des progrès ont été aussi réunis autour des besoins spécifiques pour les personnes handicapés. Mais une des évolutions majeures s’est surtout construite dans le rajeunissement et la féminisation des lecteurs. Voulant mêler des enfants de 6 à 17 ans de toutes les conditions sociales, nous avons pu remarquer que beaucoup d’adolescents ont fréquenté le lieu au cours des années, mais constituant seulement la majorité des lecteurs en 1924. Les bébés ont également eu une appartenance, tout comme les adultes qui sont une part importante dans la littérature de jeunesse (concernant du moins la psychologie de l‘enfant). Par ailleurs, amener des adultes constitue une préoccupation importante au sein des bibliothèques pour la jeunesse.

Viviane Ezratty poursuit cette fois sur l’importance des patrimoines concernant la littérature pour jeunesse dans les 2-817-G17461bibliothèques. Elle évoque ainsi la question du budget et l’importance de la conservation. Les patrimoines sont essentiels pour faire vivre les vieux livres et les familiariser avec le jeune public. Nous avons pu constater également l’importance de la qualité d’accueil et de l’ambiance du lieu. Ainsi, concernant l’aménagement, Mme Ezratty démontre un établissement dit familial mais où les activités demeurent parfois sujet à de lourds débats. Parmi ceux-ci, le problème toujours constant de l’organisation des livres, des sections ou même des animations. La question est alors la suivante : Où va-t-on les organiser ? Concernant les ouvrages, va-t-on mélanger les documentaires ou pas ? La directrice de l’Heure Joyeuse affirma lors de la rencontre que ces quelques soucis d’ordres étaient pour certains toujours d’actualité comme celui d’introduire les livres policiers avec la science-fiction. D’autres au contraire étaient clairement définis : c’est le cas des romans « ados » incorporés aux romans adultes. Viviane Ezratty revient ensuite sur la conservation partagée, expliquant que celle-ci permet de gérer la collection de livre sur son ensemble. Elément important des bibliothèques, adultes ou jeunesse, il s’agit de se préoccuper principalement des ouvrages épuisés, abîmés ou obsolètes, permettant ainsi de conserver les cultures apportées par les vieux livres, et satisfaire quelques lecteurs dans d’éventuelles recherches. La médiation est par ce fait essentielle notamment dans sa relation avec l’école et son programme scolaire, laissant ainsi voir un partenariat entre les enseignants et les bibliothèques pour la jeunesse. Nous passons alors d’une littérature de consommation vers une littérature de qualité. Cependant, les livres pour enfants avaient pour projet d’apporter un certain facteur de paix et de connaissance, nous pouvons malgré tout nous demander si ce facteur fut véritablement efficace au sein de la jeunesse au niveau relation ou culture au cours de ces années. Les livres pour la jeunesse apportent-ils tous un « modèle de l’enfance »?

Viviane Ezratty termine en mentionnant le projet de franchir en 2014, pour la bibliothèque « l’Heure Joyeuse », une nouvelle étape en intégrant un nouvel établissement tous publics proposant des collections pour les adultes et la famille.

Les rééditions de « L’appel de la Forêt »

L’appel de la forêt fut constamment éditée sous de nouvelles formes ou collections, donnant souvent lieu à des ré-illustrations ou des changements dans le texte. Je m’efforcerai dans cet article d’analyser les éditions modernes de ce récit : ainsi, d’entreprendre une comparaison d’une édition récente avec celle dans laquelle j’ai lu le livre, à savoir l’édition Gallimard-jeunesse, collection Folio Junior Edition Spéciale, éditée en 1997. Cette collection fut créée en 1987 par Pierre Marchand mais arrêtée en 2004. Publiant majoritairement des romans, mais aussi des contes, de la poésie et des nouvelles, elle réédite des classiques de la littérature de jeunesse et des nouveautés d’auteurs français et internationaux. L’édition plus moderne que je vais analyser est Nathan Poche, éditée en Août 2007. Collection la plus récente de ce livre, établie précisément dix ans après Folio Junior, Nathan se spécialise dans la production d’ouvrages destinés à l’enseignement et de matériels éducatifs pour les plus jeunes enfants, apportant ainsi de nombreux changements dans la mise en pages et l’iconographie de l’œuvre.

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Le travail éditorial sur les rééditions nécessite en premier lieu un travail de lecture afin d’établir le programme et pouvoir ainsi le proposer. La publication demande aussi un suivi classique de fabrication, à savoir les corrections, le choix des images intégrées dans le récit et la couverture, et la rédaction du texte de quatrième couverture. Dans cette analyse, nous nous intéresserons d’abord à la présentation des éditions de l’Appel de la forêt, lesquelles étant évidemment toutes deux adressées à la jeunesse. Effectivement, Folio Junior est une collection de poche principalement consacrée à la littérature pour les 8-15 ans tout comme l’objectif de Nathan Poche est de publier des livres destinés à un lectorat âgé de 8 à 16 ans. Les deux collections précisent parfaitement le niveau d’âge requis à la lecture de cet ouvrage en quatrième de couverture « A partir de 11ans », l’âge ne pouvant être en-dessous car, bien que le récit soit adapté à la jeunesse et a pour héros des animaux, certaines scènes sont jugées trop cruelles et violentes pour un plus jeune public. L’appel de la forêt est un livre patrimonial édité majoritairement pour l’école et pour inciter à faire entrer l’enfant dans le domaine du livre. Néanmoins, nous pouvons remarquer que Folio Junior Edition Spéciale et Nathan ne partagent pas véritablement le même objectif notamment en vue de la présentation, du paratexte et des illustrations proposées : l’une est avant tout basée sur une lecture de loisir, permettant de ce fait à l’enfant d’entrer progressivement dans le domaine du livre et du plaisir de lire. Tandis que les éditions Nathan, ont pour vocation, depuis leur création, la connaissance et l’apprentissage. Premier éditeur scolaire français, leur mission est en effet centrée autour de l’enfant et de la pédagogie. Il s’agit de « donner goût au savoir, faire progresser sans mettre en échec, distraire intelligemment ». D’où le style très travaillé de l’édition Nathan par rapport à la collection Folio Junior de Gallimard Jeunesse.

L’éditeur, quel qu’il soit, doit prendre en compte le format du livre, c’est-à-dire la reliure, le type de papier, l’imprimerie et l’importance quantitative du texte. Ainsi, Nathan vernit toute la surface extérieure de l’ouvrage et pas seulement la couverture : l’effet « brillant » se remarque sur la quatrième de couverture et le « dos du livre », ce qui donne un effet très soigné de l’œuvre, aspect que l’on regarde en partie notamment lorsqu’on achète le livre. Malgré tout, Folio Junior garde pour sa part une particularité bien à elle : la couverture montrant le personnage de Buck, seuls celui-ci, le titre de l’œuvre et le nom de l’auteur sont vernis tandis que le reste de la surface demeure mat. Il s’agit là d’une façon de mettre en avant le personnage de la couverture bien que cette caractéristique reste plus enfantine. L’un des facteurs importants du travail de réédition est la lisibilité du texte, le contraste entre le noir de l’impression et le blanc du papier qui est à la base de la perception et de ce fait de la lecture. Cependant, Folio Junior offre un papier jaunâtre, de mauvaise qualité, avec une imprimerie assez faible, plutôt petite et dense, ce qui donne un aspect vieilli et fait que la lisibilité est moins bonne, voire compromise, fatiguant le lecteur débutant ou confirmé. Adapté pour l’éducation, Nathan assure en revanche un contraste visuel maximal avec une impression en noir, plus grosse, plus espacée, sur un papier bien blanc. L’effet apporte le sentiment d’une organisation simple mais facilite grandement la formation du lecteur à la lecture. L’édition fait également en sorte que la quantité du texte paraisse moins importante, offrant ainsi moins de mot par ligne.

Dans les deux éditions, le paratexte offre également de nombreuses modifications, la première d’entre toutes se trouvant dans la présentation du titre en couverture assez sobre chez Folio Junior tandis que Nathan, très ponctué sur le visuel, démontre une présentation travaillée : le titre est mise en évidence par de la couleur, entouré de frises décoratives et isolé de l’illustration par un cadre qui se distingue lui-même par un fond coloré. Le résumé de la quatrième de couverture démontre de même une très haute différence : en effet, plus enfantin, Folio Junior laisse place, avec un résumé plus détaillé que chez Nathan, à une présentation illustrée de quelques personnages emblématiques (ici, « Hal, le cruel conducteur de chiens » et « Spitz, l’ennemi mortel de Buck ») ainsi qu’une scène du livre « le repos près du feu ». Cette « liste des personnages » aide dès lors les enfants à entrer dans l’histoire, tandis que Nathan se contente d’un bref extrait consistant à accompagner et préciser le titre de l’œuvre: « Des profondeurs de la forêt, il entendait résonner tous les jours plus distinctement un appel mystérieux, insistant…». Il précise enfin selon quelle adaptation ce livre fut édité « Dès 11ans, adapté au programme scolaire », cette précision délimitant Nathan à sa fonction première: l’enseignement. Si la table des matières est identiquement placée à la fin du récit, il n’en est cependant pas le cas de la présentation biographique de l’auteur et de l’illustrateur que Nathan met tout à la fin, après la table des matières. En effet, suivant sa fonction scolaire, l’édition Nathan va plutôt mettre en avant le texte que l’enfant doit étudier avant les renseignements complémentaires, tandis que Folio Junior rédige ces présentations de façon plus précise et les place au début de l’œuvre, sans doute pour mieux renseigner le lecteur et lui donner une idée de ce qu’il l’attend, en connaissant déjà l’auteur et l’illustrateur. Pour continuer, nous ne notons aucune dédicace ou préface dans les deux éditions, cependant, Nathan dispose d’un postface qui dévoile une facette de la personnalité de l’auteur: « Jack London, le diseur de bonne aventure ». Ce court texte résume sa vie aventurière et explique de même la raison pour laquelle beaucoup de ces récits qui n’étaient pas prévus initialement pour la jeunesse sont tombées entre les mains des enfants: «L’enfance, c’est le rêve et l’aventure qui font le lecteur devenir un vagabond des îles, un héros des siècles futurs ou un dieu tombé du ciel. Les enfants se laissent prendre par la main et par les mots de London. Ils se laissent dériver malgré le mal de mer ou la fièvre de l’or, et ce faisant, ils élargissent leur vie. Ils osent, le temps de la lecture, vivre comme s’ils ne devaient jamais mourir ». De la même façon, la série « Folio Junior édition spéciale » comporte des suppléments sous forme de jeux en relation avec le livre: l’enfant trouve des questionnaires chargés de mettre à l’épreuve ses capacités de lectures et un dossier «le chien dans la littérature» regroupant des extraits de romans mettant en avant le personnage du chien. Il s’agit pour cette collection d’élargir au moyen de jeux et de défis la connaissance et la curiosité du jeune lecteur. Enfin, Nathan rappelle en haut de chaque page de gauche le titre de l’œuvre, et en haut de chaque page de droite le titre du chapitre, élément permettant à l’enfant de vérifier où il en est dans sa lecture sans avoir à consulter la table de matière.

A travers ces multiples différences, nous pouvons néanmoins noter une similitude entre les deux éditions, à savoir la narration. En effet, dans les deux cas, celle-ci a été établie par la même traductrice, Mme de Galard, présentant ainsi un texte identique. Bien souvent, les éditeurs sont confrontés à des choix difficiles à propos du récit, notamment la fidélité: soit le texte intégral est maintenu, soit le texte d’ouverture et les incises sont supprimés. Ici, le texte est identique et donné dans son intégralité sans un seul passage supprimé. On distingue six chapitres chez Folio Junior comme chez Nathan ainsi que la présence de l’unique note de page du livre au chapitre deux, et du même épigraphe en tête du premier chapitre (cette citation est cependant inscrite en italique chez Nathan). On ne dénote aucun saut de ligne supplémentaire, ni alinéas autre que ceux voulus par l’auteur. Malgré tout, si dans l’édition Nathan, le déroulé du texte est ininterrompu, Folio Junior, programmée pour la lecture loisir et donc gardant en elle un style très enfantin, présente un certain nombre d’illustrations qui viennent ’découper’ la narration. Nathan n’accorde en effet que peu d’importance à l’image dans la mesure où, spécialisée dans le domaine scolaire, cette édition privilégie le texte qui va être étudié et soigneusement analysé.

Le texte est ainsi identique mais présente des illustrations qui sont faites d’une façon différente selon les éditions. Chacune a sa propre politique éditoriale: certains illustrateurs travaillent la couleur, le trait du dessin suivant le choix du papier et le format… L’édition Nathan présente de rares vignettes élaborées par Philippe Mignon, lequel a d’abord créé des illustrations pour la presse avant de dessiner pour des films d’animations. Folio Junior comporte de grandes illustrations faites par Philippe Munch, illustrateur passionné par la bande-dessinée, et élaborées de façon diverse: on dénote ainsi plusieurs vignette représentant le héros Buck (une en page de titre, une autre en fin de livre et une dernière sur la page de la table des matières), des bandes intégrées dans le texte mais surtout de grandes planches soit en une seule page, soit en double-page. L’édition démontre toutefois des images simples et griffonnées. Les personnages ne sont jamais représentés de la même façon, donnant l’impression d’un dessin aux traits grossiers, fait rapidement et sans aucun respect des proportions. Cela épuise le lecteur et ne lui donne pas l’envie de découvrir le récit. En effet, l’image enfantine doit être fraîche et claire pour intéresser le lecteur: les enfants rejettent les images agressives qui semblent sales, grossières et brouillonnes. Aussi, Nathan, plus moderne et plus «scolaire», travaille davantage la technique et le détail de ses vignettes, présentant une image plus nette, largement plus agréable aux regards.

Scan0001Dans sa relation avec le texte, l’illustration entretient plusieurs fonctions : elle peut ainsi être décorative tout comme elle peut donner une nouvelle dimension au texte c’est-à-dire orienter le lecteur dans sa compréhension du texte et ajouter de nouvelles informations. Elle apporte des précisions quant à la description des lieux et des personnages, ainsi nous trouvons au début du livre de la collection Folio Junior une carte illustrée dans une double page, représentant la région où se situe l’histoire et le chemin parcouru des personnages, ce qui permet aux lecteurs de se repérer dans le voyage entrepris par le héros et décrit par London. Dans cette même double-page sont également illustrés des portraits des hommes rencontrés par le chien Buck. La succession des images de l’édition Gallimard Jeunesse peut y compris permettre de reconstituer l’histoire et donc de servir de guidage aux lecteurs. Mais l’édition donne souvent des bandes d’images intégrées dans le texte ou du texte intégré dans l’image comme si elle obéissait à la fonction de remplissage de la page. Chez Nathan, les vignettes placées au début de chaque chapitre peuvent entretenir une fonction toute différente : celle de résumer le chapitre qui se termine ou qui va suivre par exemple. En effet, ces vignettes ne se réfèrent pas à une scène en particulier, elles reflètent plutôt une « caractéristique » du récit, contrairement à Folio Junior qui, fidèle à sa fonction de lecture-loisir, présente bel et bien des illustrations très proches de certains passages. De ce fait, même si ces images ne sont pas « belles », elles vont donner envie au jeune lecteur de connaître la scène qu’elle représente.

Pour conclure, au fils des années et des modes, les rééditions et les nouvelles collections ne cessent de paraître, et les œuvres classiques telles que celles de Jack London sont souvent les plus touchées par cette évolution. De plus en plus destinées au programme scolaire, il s’agit de transmettre de nouvelles pratiques de lecture. De plus, on dénote aujourd’hui une réelle importance au visuel. Ainsi, Nathan, l’édition la plus moderne, donne lieu à une présentation beaucoup plus travaillée. Les éditeurs comme les bibliothécaires sont ainsi toujours en recherche de nouveautés pour intéresser le public. Seulement, suivant certaines collections, nous avons remarqué qu’une nouvelle édition n’est pas forcément meilleure : une vieille édition peut souvent apporter bien plus, concernant notamment l’initiation à la lecture d’un enfant.

Des fables aux grands classiques : Jack London

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Les œuvres de Jack London constituent les textes parmi les plus lus et les plus étudiés dans les différents milieux scolaires.

Né en 1876, poussé par son tempérament aventureux, London quitta dès quinze ans la maison familiale pour par la suite exercer toutes sortes de métiers et entreprendre de nombreux voyages. En 1897, il embarqua vers l’Alaska pour participer à la ruée vers l’or du Klondike, mais il fut rapatrié à cause du scorbut et commença à écrire en s’inspirant de son expérience dans le Grand Nord canadien (Il est important de signaler que, de son propre aveu, il détestait écrire et ne le faisait que pour gagner sa vie).

Ses sujets principaux sont principalement l’aventure et la nature sauvage qu’il aime dévoiler notamment par le biais d’un loup ou d’un chien, ceux-ci pouvant être tour à tour héros de l’histoire ou simple personnage.

L’histoire que l’on retient le mieux est évidemment le célèbre Croc-Blanc, le fauve attachant qui, au cours de sa vie, ne cessa d’aligner les rencontres les plus variées mais aussi les plus regrettables dans la majorité des cas. Mais nous notons également une autre de ses plus grandes réussites littéraires : « L’appel de la forêt ». 

J’ai eu le loisir de découvrir cette oeuvre durant l’année de mes onze ans. Le souvenir qui en est resté est très positif et j’ai pu ainsi constater en le relisant deux ans plus tôt que, même après dix ans, l’avis que j’avais à l’époque n’a guère changé : je l’ai relu d’une traite, avec un réel plaisir. Il s’agit en effet d’un récit remarquable, doté d’une belle narration qui pousse facilement le lecteur à vouloir connaître la suite. Il rassemble également presque tous les critères qui m’ont souvent attirée dans une œuvre : un roman d’aventure mêlant voyage et quête, nature et découverte, ainsi que de nombreux rappels historique qui permettent de nourrir l’apprentissage d’un lecteur et de satisfaire plus ou moins sa curiosité. Le fait que l’histoire soit racontée du point de vue d’un chien est de même un des points dont je suis particulièrement sensible dans ce type de récit.

Il est d’ailleurs amusant de remarquer qu’ici, nous avons justement affaire à un chien enlevé à ses maîtres pour par la suite connaître la dure « loi de la dent et du bâton » et devenir finalement l’équivalent d’un loup sauvage, tandis que dans « Croc-Blanc », c’est un loup sauvage enlevé à la nature par les hommes et grandissant parmi eux pour devenir un chien. C’est cette différence qui m’a d’autant plus intriguée et développée ma curiosité : je voulais savoir comment Jack London mettait en relief ce nouveau point de vue (après celui d’un loup, nous avons le regard d’un chien face à la violence de la vie).

Pour continuer, la forme du livre m’a également attirée et conduite pour de bon à m’intéresser à la lecture de cet ouvrage, la couverture dévoilant l’image hautaine et dominatrice d’un chien-loup, debout dans la neige, et soumis à la force d’un blizzard. Au dos du livre, d’autres illustrations accompagnent le résumé et se chargent de présenter quelques personnages, les ennemis que va rencontrer Buck, le héros de l‘œuvre. Cette iconographie met ainsi une sorte « d’avant-goût » à l’histoire et le lecteur se surprend à vouloir véritablement la connaître jusqu’au bout.

Enfin, à travers l’odyssée d’un chien de luxe arraché à son confort et à sa famille pour s’enfoncer peu à peu vers ses instincts et sa sauvagerie ancestrale, j’ai trouvé le récit intéressant dans la mesure où il renvoie au retour à la nature et aux racines. Il nous fait découvrir les conditions de vie de l’époque, spécialement celles retenues dans le Grand Nord, lieu sauvage et impitoyable. Nous y trouvons également une certaine idée de la vie des chiens de traîneaux à travers le regard d’un de ces canidés et je me rappelle avoir été surprise de la dure vie qu’ils pouvaient mener et des relations qui pouvaient se créer entre chiens et maîtres, et entre chiens tout court. Je ne me doutais pas à quel point les conditions menées là-bas pouvaient être terribles tout comme j’ignorais l’existence de dangers tels que la formation de meute de « chiens indigènes » allant jusqu’à une cinquantaine d’individus, lesquels s’attaquaient à la moindre occasion, en forêt ou en villes, aux chiens comme aux hommes !!

De ce fait, grâce à la plume de Jack London, ce livre m’a beaucoup appris, notamment au niveau historique. L’auteur nous rappelle sans cesse dans ce récit tout comme dans celui de Croc-Blanc, la vie telle qu’elle existait à l‘époque, dans le Grand Nord : extrêmement violente, constamment centrée sur la survie, des parcours où la mort peut être omniprésente et où seule compte « la Loi primitive : celle du bâton et de la dent » comme en témoigne dans l’histoire la mort de presque tous les personnages, à l’exception du chien Buck.

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Publiée en 1903 et retraçant la vie des pionniers dans le Grand Nord, ce roman fut vendu à plus de six millions d’exemplaires aux Etats-Unis et traduit en une vingtaine de langues. Il fait désormais partie des grands classiques de la littérature de jeunesse, ayant connu sept adaptations filmiques (dont un d’animation), une bande-dessinée en 2010, ainsi que de nombreuses rééditions.

Troisième et dernière partie : la question de l’illustration

1. Le loup chez les illustrateurs.

Après avoir étudié le symbole et les différents angles du loup dans les récits et autres textes, il me semble important de l’analyser sous un aspect plus « physique ». Pour cela, nous considérerons plus attentivement dans cette dernière partie la question de l’illustration dans la mesure où la fable, présentant des actions simples accomplies par des personnages très typés, se prête assez bien à l’image. Celle-ci renforce effectivement l’attrait du récit tout en déclenchant une certaine interprétation de la part du lecteur. Ainsi, dès l’apparition de l’imprimerie, les recueils de fables et autres apologues furent souvent accompagnés de nombreuses illustrations, notamment chez La Fontaine qui très tôt accorda une attention très spécifique à l’image. Le loup fut bien évidemment un personnage très apparent au fil des siècles, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il fut à de nombreuses reprises dessiné ou peint par des enfants, et passa sans surprise sous le crayon -ou le marteau- des plus grands noms de la gravure, de la peinture ou du simple dessin au crayon ou à la plume et à l‘encre. Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) et Gustave Doré (1832-1883) furent les illustrateurs les plus récurrents de La Fontaine -et de ce fait du loup- sur lequel ils consacrèrent un assez bon nombre d’œuvres. Il va sans dire que le « Loup et l’Agneau », « Le Loup et la Cigogne », « Le Loup devenu Berger », ou encore « Le Cheval et le Loup » furent les principales fables -en rapport avec cet animal- les plus empruntées…

          fable de la fontaine - illustration oudry - le loup devenu berger              le_loup_et_l_agneau_illustration_dore                fable de la fontaine - illustration oudry - le cheval et le loup

Le Loup devenu berger                                 Le Loup et l’agneau                                Le Cheval et le loup
Gravure sur bois, Oudry.                           Gravure sur bois, Doré.                           Gravure sur bois, Oudry.

Ces gravures sont comme on peut le voir pour la plupart du temps en noir et blanc, ce qui me poussa de ce fait à approfondir mes recherches. Ainsi, hormis quelques œuvres faites à la peinture à l’eau-forte ou à l’huile, dont une aquarelle très précise d’Auguste Delierre (1829-1891) créée pour l’Edition de Quantin de 1883, il existe une gravure coloriée représentant « Le Loup et l’agneau » et datant de l’époque romantique. « Le Cheval et le Loup » eut également droit à quelques œuvres en couleur, notamment de Gustave Doré et une huile sur toile de Jean-Jacques Bachelier (1724-1806) : 

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Le loup fut de même le sujet de nombreuses statues comme celle en bronze patiné du « Loup et de la cigogne » élaborée au XIXème siècle par Joseph Victor Chemin.

Pour continuer, nous pouvons remarquer que sur ces images, comme dans la plupart du temps, le loup est représenté sous sa forme véritable, c’est-à-dire sans aucun élément humain. Chez Gustave Doré en particulier (ou encore Jean Baptiste Oudry), il demeure animalisé dans toutes les illustrations, même sous déguisement. Lorsqu’on observe par exemple les images du « Loup devenu berger », on le voit régulièrement langue pendante, assis façon canidé ou, si debout, dans un équilibre visiblement instable tel le loup ou le chien se tenant sur ses pattes arrières. Du fait, dans ces idées d’utiliser les animaux pour caricaturer l’homme d’époque et railler ainsi les travers de la société humaine, Doré parvient à nous démontrer avec la force de l’illustration que « les Fables de La Fontaine ne nous montre pas des hommes prenant des masques de bêtes, mais le contraire. Au-dessus du masque humain qui la couvre, demeure et vit, sans trop se douter de ce que le fabuliste lui fait dire, la bête véritable ». Cependant, dans cette confection pour donner à l’homme une certaine prise de conscience de l’animalité, on découvre tout de même quelques illustrations de fables présentant un mélange homme et animal. C’est le cas de Granville (pseudonyme de Jean-Ignace-Isidore Gérard, 1803-1847) qui, spécialiste de la caricature et du phénomène de la métamorphose, fut le premier à habiller les animaux de La Fontaine avec des costumes humains ou à remettre une tête animale à un corps humain. Le loup perd ainsi chez cet illustrateur toute son animalité contrairement aux œuvres de Doré. Inspiré par l’attitude ou l’aspect du personnage, Granville lui ajoutera toujours un « quelque chose » qui servira à le caractériser: un couteau dans une ceinture si le loup est assassin, un vieux chapeau sur ses oreilles pointues s’il incarne un paysan. Tandis que la plupart mettent en relief l’image d’un loup emportant un agneau depuis un ruisseau pour le manger ou se querellant avec un chien ou un lion, Granville laisse place à un animal singeant complètement les hommes. Ainsi, dans « Le Loup et le chien » par exemple, il illustre aussitôt deux animaux vêtus à la manière d’un pauvre vagabond et d’un bourgeois-domestique de grande maison. On remarque toutefois que l’illustrateur français Henry Morin (1873- mort inconnue) s’est employé plus tard à faire de même, notamment avec cette même fable :

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Le Loup et le Chien                                                                                  Le Loup et le Chien
Granville                                                                                                    Henry Morin

2. Boisard : l‘illustration.

La Fontaine a ainsi inspiré de nombreux artistes au fil des siècles, ses fables en effet furent accompagnées d’illustrations réalisées à diverses périodes par des peintres, des graveurs, tous proposant une interprétation personnelle et originale de la lecture de ces récits et des personnages que ces mêmes œuvres mettaient en évidence. Ces illustrations venaient alors d’auteurs les plus contemporains de La Fontaine : François Chauveau (1613-1676, qui s’occupa principalement du premier recueil), Oudry, Grandville, Gustave Doré (1832-1883), Marc Chagall (1887-1985), jusqu’aux plus récents de notre époque tels que Christian Richet (né en 1959), Benjamin Rabier et Willy Aractingi (1930-2003), auteur de 246 toiles illustrant les fables de La Fontaine. On peut malheureusement observer que, contrairement à ses nombreuses fables, ce ne fut pas le cas de Jean-Jacques Boisard dont l’édition de ses recueils réunit à peine une vingtaine d’illustrations, toutes des gravures. Et parmi cette petite collection, réalisée principalement par C. Monnet et A. de St Aubin en 1773, on ne relève cependant qu’une seule et unique image illustrant le personnage du loup. Laquelle est par ailleurs située en début de livre, dans la dédicace adressée à ses jeunes élèves. Ceux-ci sont d’ailleurs eux-mêmes représentés sur le frontispice, récitant dans un parc une fable de leur maître, avec derrière eux, un grand dogue égorgeant un loup. Selon toutes vraisemblances, il s’agirait de la fable « Le Loup et le Dogue». Par ailleurs, plusieurs statues présentant un dogue égorgeant un loup auraient été construites dans cette période, entrant alors en lien avec ce récit.

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3. Une fable commune aux deux recueils.

Pour terminer ce dossier présentant les diverses formes du loup dans les recueils de fables destinés à la jeunesse de La Fontaine et Boisard, je pense qu’une ultime comparaison de fable, dans le domaine de l’illustration cette fois, serait utile afin d’exposer les opinions communes ou divergentes de ces deux fabulistes. Dans la mesure où Boisard ne possède qu’une illustration de fable présentant le loup et que cette fable est justement commune aux deux recueils, je vais donc évidemment porter mon choix sur « Le Loup et le Chien » de La Fontaine, et « Le Loup et le Dogue » de Boisard. Ce court récit étant en plus un des plus fameux de ces deux auteurs…

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Dans un premier temps, nous pouvons dire qu’elles sont toutes deux des œuvres faites à la gravure et sans la moindre parcelle de couleur. Réalisées par Jean-Baptiste Oudry (pour la première) et A. de St Aubin (pour la seconde), elles illustrent la présence d’un chien et d’un loup en tout point animalisés. Il n’y a en effet aucun élément humain sur eux attestant de leur rang, tel qu’on a pu le voir en début de cette troisième partie avec Granville. On remarque cependant une différence important dans la mesure où la première illustration démontre directement les deux animaux tandis que sur la seconde, ils sont en arrière plan et sont clairement la marque d’un indice témoignant de la fable que sont en train de lire les deux enfants, eux-mêmes représentant les élèves de son auteur. Représentés à même le mur sur l‘image, le dogue et le loup seraient également eux-mêmes une gravure ou une statue, tel un tableau dans un autre tableau, reflétant alors une histoire dans une histoire : les deux enfants lisant une fable et l’un d’eux montrant la page en question à son frère qui lui-même pointe du doigt la statue. Ce qui amène à la seconde et dernière grande différence des illustrations et des récits qui sont montrés là. En effet, nous avons vu précédemment que le sujet en question n’était pas identique selon La Fontaine et selon Boisard : dans le premier, il s’agit d’un chien bien nourri mais plongé dans la servitude et discutant calmement avec un loup, lui, amaigri mais très attaché à sa liberté. Dans l’autre, nous avons affaire à un dogue qui venge son troupeau en tuant le loup mourant de faim, profitant ainsi de sa faiblesse. Les gravures présentent tout à fait ce point de divergence : les deux fables possèdent le même titre, de même que l’illustration mais si la première montre deux animaux marchant côte à côte, sans agressivité apparente chez l’un comme chez l’autre, la seconde laisse voir un loup sur le dos, maigre et agonisant sous les crocs d’un immense dogue par ailleurs, très semblable à un lion, symbole même de la puissance. Enfin, on observe sous la seconde illustration les derniers vers de la fable « Et meurent comme toi, brigand impitoyable, tous ceux qui comme toi, meurtriers dans leur Cœur, dans le bonheur public ont trouvé leur malheur ». Ceux-ci illustrent comme on peut le voir sur l’image la mise à mort du loup.

Pour conclure, la présentation du loup a bien souvent donné lieu à de vifs débats au cours des siècles. Selon les peuples et les coutumes, il fut un animal à présages soit bénéfiques soit profondément diaboliques. Dans la littérature de jeunesse, et dans les fables notamment, la figure du loup, à la fois complexe et importante, n’échappe pas à ce doute et peut du fait comporter de nombreuses facettes. Malgré tout, bête féroce ou victime, la peur de ce mammifère demeure malheureusement intacte et présente dans l’esprit des gens, et La Fontaine insiste bien, à travers ses œuvres, sur le fait qu’un loup reste à jamais un loup et que bien souvent, l’homme est un loup pour l’homme.

Deuxième partie : Contenus des recueils, interprétation des aspects moraux du loup

1. Le loup présenté au 18ème siècle.

Nous avons pu voir que le thème du loup est souvent repris, depuis l’Antiquité comme en témoignent les fables d’Esope et de Phèdre. Mais dans la plupart des récits, le loup renvoyait à une image extrêmement négative, un animal qui endosse toujours le méchant rôle, celui qui tue sans raison, et cherche sans cesse à imposer sa loi. 0z55r53kEn d’autres termes, il se résume à un personnage qui fait peur : solitaire, pelage noir, dents et oreilles pointues, yeux malfaisants…. Associée en plus par un hurlement lugubre souvent utilisé pour évoquer la terreur, cette peur du loup tient de cet aspect apparent et moral, bien plus qu’à sa réalité biologie. De nombreuses légendes ont également compris à faire de cet animal un être sombre et diabolique : c’est le cas de l’image anthropomorphique du Loup-garou. Certains faits historiques restés célèbres à travers les siècles relancèrent de même l’aspect terrifiant et la mauvaise réputation du loup, ainsi au XVIIIème siècle apparut la fameuse « Bête du Gévaudan » dont on a dit qu’il aurait pu s’agir d’un gros loup particulièrement agressif. La créature terrorisa en effet la région entre 1764 et 1767, et tua une centaine de personnes. A l’époque, chaque disparition mystérieuse, chaque mort incomprise lui était imputée, même sans preuve. Le loup était le responsable et l’image du malheur et de la désolation par excellence. Il n’en fut pourtant pas toujours le cas…

Dans l’histoire littéraire, étant un animal qui inspira et fascina beaucoup les hommes, il joua un certain nombre de rôle. Dès l’Antiquité, son image est double: il apparait dans un temps comme une force dangereuse, puis dans un deuxième temps comme la représentation de valeurs positives. Dans la civilisation romaine, il jouit d’une grande considération en tant que symbole de la fondation de Rome (Remus et Romulus allaités par une louve). Etant de plus l’animal sacré du dieu de la guerre, le loup faisait partie des emblèmes de la légion romaine et son apparition avant une bataille était toujours un présage de victoire. loup-vip-blog-com-835143T631137AIl conserva donc une image relativement positive jusqu’aux débuts du Moyen-âge où le loup devient et resta l’animal dangereux qu’il faut traquer. L’Eglise catholique y voyait en effet un symbole de férocité, d’avidité, de l’hérésie : le diable qui menace le troupeau des fidèles et dévore les corps pour s’approprier les âmes. L’image du loup, de couleur noire, déguisé en agneau (blanc, symbole de pureté) renvoyait aux faux prophètes qui conduisaient les hommes à leur perte. C’est de ce fait dans les bestiaires du Moyen-âge que l’on trouve ainsi les origines de la plupart des croyances actuelles sur le loup. Son image amène donc les auteurs à le reprendre et à retravailler son aspect pour la jeunesse afin d’amuser, de terrifier mais également d’instruire les enfants sur les éventuels dangers de la vie.

Le loup devient ainsi un personnage récurrent dans les récits moraux et s’installe dans la littérature jeunesse, en tant que stéréotype d’un prédateur cruel, prêt à tout pour manger. Personnage archétypal du conte et de la fable, le loup dispose d’un caractère résumant tous les défauts humains et les comportements connus des lecteurs, ceux-ci pouvant anticiper ses moindres faits ainsi que le dénouement du récit, le plus souvent défavorable au loup. Dans les contes ou dans les fables, il incarne le noble rusé et perfide, « le mauvais sujet, l’individu en marge de la société », souvent présomptueux et lâche: il s’attaque au plus faible, se moque des bergers, emploie la ruse pour obtenir ce qu’il désire (« Le Cheval et le Loup », « Le Loup devenu Berger », de La Fontaine) et fait volontairement accuser à tort les autres personnages (« Le Berger, le Chien et le Loup », de Boisard). Malgré cette tendance à toujours voir ses plans se retourner contre lui d’une quelconque façon, le loup, fidèle à sa représentation du Moyen-âge à nos jours, incarne le danger dont il faut avant tout se méfier et se protéger. A l’inverse, la louve, face féminine des fables très peu mise en évidence mais qui cependant a toujours été vu sous un beau jour, incarne le côté protecteur et nourricier. Elle est la mère qui pense avant tout à sauver ses petits bien que dans la fable de Boisard « Les agneaux et les louveteaux orphelins », ce fait leur porte préjudice.

2. Le traitement de la fable.

Comme affirmer précédemment, la fable, ou l’apologue, n’est pas une invention récente. Telle le conte et le mythe, elle possède un immense répertoire qui s’est constamment enrichi au cours des siècles et qui constitue donc un fonds de sagesse populaire et de morale, dans lequel plusieurs générations d’écrivains ou de moraliste ont puisé. Il existait en effet bien avant La Fontaine tout un corpus scolaire venant des fabulistes grecs (Esope, VIe siècle av. J.-C.), latins (Phèdre, lui-même adaptateur d’Ésope), des ysopets médiévaux et des fabulistes de la Renaissance (Abstémius). Remontant à une tradition ancienne, la fable consiste en un récit court, souvent agrémenté d’un dialogue et illustrant une vérité morale. On notait d’ailleurs une grande aptitude des leçons tirées de ces histoires, ce qui explique la raison pour laquelle, avec le développement de l’éducation et la place faite à la fable pour le maniement de la langue, celle-ci revient vite à la mode au XVIIe siècle, en débit du fait qu’elle soit à ce moment un genre bas « sans dignité littéraire », et avecelle l’apparition de La303_02-13_6 Fontaine. Un contexte menant efficacement à l’épanouissement du genre fut donc installé, permettant au genre de revenir sans cesse de manière identique au fils des années. On remarque ainsi, en étudiant les fabulistes depuis Esope jusqu’aux plus récents la présence d’un loup presque inchangeable, malgré l’évolution des esprits, et de ce fait fidèle à la façon dont les enfants se l’imaginent.

Puisant ses sources dans la littérature mondiale de tous les temps (Esope, Phèdre, Horace, Abstémius, Jean de Capoue, Bidpay…), les fabulistes reprennent des histoires toutes faites consacrées par la tradition. La Fontaine ne fait évidemment pas exception et s’est effectivement inspiré de ces anciennes fables mais en les améliorant, c’est-à-dire en les écrivant dans une langue belle et simple, peuplée de vers, et en lui ajoutant une intrigue vive et intéressante. Parmi celles reprises d’autres fabulistes et contenant le personnage du loup, nous trouvons ainsi « Le Cheval et le Loup » venant d’Esope, et « Le Loup et le Chien » et « Le Loup et l’Agneau », celles-ci étant des fables à la fois d’Esope et de Phèdre. Boisard aurait quant à lui repris des fables de La Fontaine, elles-mêmes venant d’autres auteurs. Beaucoup d’entre-elles sont néanmoins présentées plus ou moins fidèlement. Ainsi la fable « Le Loup et l’Agneau » de Boisard serait plus représentative du « Cheval et du Loup » ou du « Loup, la Chèvre, et le Chevreau » de La Fontaine. Elle serait peut-être même un mélange des deux. Pour d’autres, comme « Le Loup et le Lion », qui n’existe pas dans les recueils de La Fontaine, Boisard se serait cette fois inspiré d’Esope, la reproduisant alors plus fidèlement, en y ôtant cependant la morale inscrite initialement. Enfin, dernière remarque que nous pouvons observer sur les fables de Jean-Jacques Boisard, certaines d’entre elles -c’est le cas pour « Les Agneaux et les Louveteaux orphelins » ou « Le Loup pénitent » (qui serait une éventuelle allusion à la « Cigale et la Fourmi »)- ne posséderait aucune origine parmi Esope, Phèdre ou tout autre fabuliste. Elles seraient de ce fait une invention de Boisard, témoignant ainsi de son talent digne de La Fontaine et hélas oublié par le temps.

3. L’anthropomorphisme du loup.

A l’instar des autres animaux dans les recueils de fables, le loup est anthropomorphisé. Mais c’est par l’usage de la parole qu’il parvient la plupart du temps à s’assimiler aux hommes, bien plus qu’en endossant un habit comme on peut le voir dans « Le Loup devenu Berger » de La Fontaine, où voulant tromper ses proies, révèle néanmoins son identité en grognant, étant tout à fait incapable de prononcer le moindre mot. Dans les recueils de La Fontaine et de Boisard, nous avons affaire à un personnage malin qui soigne ses mots tel le sujet de la cour et le beau-parleur qu’il représente. Il s’agit de même  fable de la fontaine - illustration grandville - le loup devenu bergerd’un être suffisamment civilisé pour parler autant avec ses semblables, qu’ils soient lion, agneau ou renard, qu’avec les hommes, ainsi la fable de Boisard « Le Berger, le Chien et le Loup » laisse apparaitre un loup tentant de faire part de ses faux soupçons au sujet du chien au berger. Enfin, nous pouvons remarquer qu’il se montre souvent dans les fables sous diverses facettes : hargneux avec ses proies, dans « Le Loup et l’Agneau » où il argumente « plein de rage » tout au long de la fable mais dévore tout de même son interlocuteur « sans autre forme de procès », mielleux dans « Le Cheval et le Loup » de La Fontaine et « Le Loup et l’Agneau » de Boisard, perfide dans « Le Berger, le Chien et le Loup », et soumis et larmoyant dans « Le Lion et le Loup » et « Le Loup et le Chien ». Malgré le fait que dans cette dernière fable, il s’agit surtout d’un instinct de survie : le loup médite sur l’aspect et la force du chien puis, le jugeant plus fort que lui, décide de l’aborder « humblement » et de le complimenter pour se renseigner, faute de pouvoir l’attaquer.

Le loup présente ainsi dans les recueils de fables et récits de jeunesse un comportement multiple et très ambigu face à l’autre, passant du sauvage féroce au sournois, puis enfin en soumis voire victime comme dans les fables de Boisard : « Les Agneaux et les Louveteaux orphelins », « Le Loup Pénitent » ou « Le Loup et le Dogue ». Il réunit de ce fait différents caractères, en lien avec ses représentations de l’homme dans la société du XVIIème et XVIIIème siècles, en dépit du fait qu’il conserve néanmoins des traits de sa sauvagerie animale. Le loup demeure le prédateur quoiqu’il arrive face aux personnages comme l’agneau, le cheval et l’ennemi principal du chien et du lion. Esope_Loup_Renard_Singe_Tome_II-dd646Si l’on considère donc les rapports du loup et des autres animaux mis en scène par La Fontaine et Boisard, le loup est souvent supérieur aux autres au niveau de la hiérarchie animale mais aussi sociale. Il est le courtisan beau-parleur, le puissant, appartenant généralement à la noblesse : « Beau sire », « Majesté ». L’agneau de La Fontaine dans « Le Loup et l’Agneau » s’adresse au loup par la 3ème personne du singulier, ce qui est une marque de respect tandis que le loup, cruel, raisonneur et sophiste à la fois, lui témoigne un discours à la 2ème personne avant de le dévorer. Représentant de la loi du plus fort, il peut néanmoins incarner également le symbole de la liberté individuelle opposée à la servitude. C’est le cas pour « Le Loup et le Chien » qui, à la fois proches et opposés, entretiennent tous deux un rapport très particulier. Nous avons dans cette fable le loup sauvage, aristocrate affamé, face au chien domestique, fort, beau et gras bourgeois asservi. Pour finir, le loup peut se montrer naïf dans ses rapports aux autres. Ainsi, il se laisse tromper face au renard mais également face au cheval dans « Le Cheval et le Loup ».

Ce rapport à l’homme est-il représenté, voire développé dans les illustrations ? Ou les dessinateurs et graveurs préfèrent-ils véritablement respecter le caractère animal du loup ? C’est-ce que nous verrons dans la troisième et dernière partie de ce dossier.