Après avoir étudié l’identité du lecteur du secteur jeunesse, la place que tient en lui la bibliothèque, et la difficulté du travail d’acquisition et d’organisation de l’équipe bibliothécaire pour ce jeune public, il me semble important d’analyser plus en profondeur la relation de l’enfant avec le livre : j’entends par là les façons dont il va être amené à connaître la littérature et à élaborer en outre ses propres sélections, ses goûts, lesquels vont bien sûr au final influencer les critères de la bibliothèque.
1. L’école et la bibliothèque : un partenariat difficile
Les bibliothèques et les écoles ont en patrimoine commun la littérature jeunesse. Elles sont complémentaires pour favoriser la lecture auprès du jeune public, et sont donc amenées à travailler en partenariat, notamment par le biais de visites mutuelles (les bibliothèques reçoivent en effet régulièrement des classes dès la maternelle, et les bibliothécaires peuvent de même se rendre dans les crèches et les écoles pour parler de la bibliothèque et présenter des livres, raconter des histoires, faits qui vont donner ainsi envie aux enfants de la fréquenter). De plus, « en collaborant, en s’informant mutuellement, enseignants et bibliothécaires enrichissent leur approche concrète de la lecture des enfants » (Note de Geneviève Patte. (1987), Laissez-les lire ! – Les enfants et les bibliothèques. p. 218). Néanmoins, ce partenariat est aussi souvent sujet à des désagréments. En effet, bien qu’ils conservent des objectifs communs : apprendre comment fonctionnent les bibliothèques pour atteindre l’autonomie dans les lieux, favoriser la lecture, l’ouverture vers d’autres cultures, donner le goût de lire, et faire découvrir la diversité et la multiplicité des textes, ils se différencient cependant sur leur perception de la lecture, développant ainsi des politiques différentes. Dans les bibliothèques, l’importance est mise sur la lecture plaisir, l’émotion et l’identification aux personnages. Pour les enseignants, la priorité est la mise à distance du texte, son analyse critique et les dialogues entrepris autour d’un extrait. Ils développent dès lors une opposition quant aux approches de la lecture, l’un encourageant une activité liée au plaisir de lire, l’autre se référant plutôt aux méthodes strictement pédagogiques.
Les enseignants qui fréquentent de ce fait régulièrement le secteur jeunesse établissent au même titre que les autres usagers leurs propres critères. Quels sont-ils ? Il arrive fréquemment que la visite d’une classe soit une occasion pour les élèves d’emprunter des livres pour des exposés ou des fiches de lectures. Ainsi, ces emprunts deviennent des choix obligatoires pour les enfants qui peuvent alors voir, s’ils sont plus jeunes, en la bibliothèque une partie plus ou moins intégrale de l’école. Pour ces exposés et ces fiches de lecture, les élèves vont alors ignorer les albums et les revues pour se diriger naturellement vers les romans (le plus souvent petits et faciles à lire s’il s’agit d’une fiche de lecture) ou les documentaires (s’il s’agit d’un exposé). Des visites peuvent également se faire sous un thème défini à l’avance avec l’enseignant : ainsi, j’ai pu voir un jour lors de mon stage un professeur dire à une classe de primaire de ne pas prendre de bandes-dessinés car ce n’était pas le thème du jour et donc que l’emprunt devait uniquement concerner tel genre de romans ou tel genre de documentaires ou d’albums. Cette technique permet ainsi à l’enfant de développer ses compétences en recherche et de favoriser sa lecture vers d’autres livres qu’il ne connait pas forcément. Enfin, beaucoup d’usagers comme les adolescents ne viennent en bibliothèque uniquement pour les études : il s’agit alors pour l’établissement de pouvoir lui présenter les documents dont il aura besoin, des documents discutant de n’importe quel sujet (de préférence plusieurs documents sur un sujet particulier) afin qu’il ne reparte pas «bredouille». En effet, selon Michel Melot, « le lecteur heureux n’est pas celui qui intéresse le plus le bibliothécaire. Ce qui le tracasse ce sont les absents et ceux qui repartent insatisfaits. Le bibliothécaire ne sera heureux que lorsque toute la population qu’il dessert viendra consulter ».
2. Les politiques de sélection
Les politiques de sélection du lecteur de littérature de jeunesse peuvent être extrêmement diverses. Tel livre va ainsi être choisi en fonction de sa couverture, de son sujet, de l’intérêt donné à son futur lecteur. Mais en dépit de la constante évolution que subit le vaste public du secteur jeunesse, certains ouvrages demeurent incontournables. Quels sont donc ces livres qui doivent être disponible en permanence, qui se doivent d’être toujours enregistrés dans les fichiers d’une bibliothèque ? Ce sont bien sûr les indispensables et les classiques. Par indispensable, il y a d’abord les œuvres riches qui connaissent un grand succès tels que Harry Potter, Tara Duncan, FableHaven, les séries du Petit Nicholas, et les livres qui gardent toujours la même fraîcheur qu’à l’époque de leur sortie comme les Babar, les Tchoupi, les Petit Ours, les Max et Lily… Les classiques sont enfin ces livres dont la saveur ne s’est jamais perdue de génération en génération, ceux qui ont marqué et servent de « modèles », qui sont aujourd’hui encore toujours étudiés en classe comme les livres de Jules Verne (Voyage au centre de la Terre), de Jack London (Croc-Blanc), de Conan Doyle (Le chien des Baskerville), de la Comtesse de Ségur. Nous pouvons aussi obligatoirement trouvé les ouvrages de Roald Dahl; Robinson Crusoé, de Daniel Defoe; David Copperfield, de Charles Dickens; 35 Kilos d’espoir, d’Anna Galvada, Le Chat assassin, d’Anne Fine, ou les Fables de La Fontaine. Ces livres sont ainsi souvent réédités et la bibliothèque se charge de supprimer les anciennes éditions pour présenter de plus récentes. Enfin, parmi les classiques se trouvent ceux qui, au niveau de l’enfant, de son expérience et de sa compréhension, traite de façon efficace des évènements importants de l’existence tels que la question de la naissance et de la mort, de l’amitié et de la haine, de la justice et de l’injustice, etc…
Les politiques principales de sélection de l’enfant peuvent se baser enfin à partir de la valeur du personnage, des images ou tout simplement du goût et de l’intérêt du sujet. On a pu constater que chaque enfant a un critère défini: les filles vont être plus attirées par des magasines comme «Julie», les romans (aventures et historiques) ou des documentaires sur les animaux, à l’inverse des garçons qui vont davantage se tourner vers les livres de guerre, de chevalerie ou les mangas. Les bandes-dessinées sont également beaucoup empruntés tels que « Titeuf », « Garfield », « Les Profs » ou « Le P’tit Spirou ». Ensuite, dans la littérature de jeunesse, on retrouve deux personnages stéréotypes qui peuvent jouer un élément déterminant dans le choix du lecteur : l’animal et l’enfant. Beaucoup d’œuvres pour la jeunesse mettant en scène un animal ou un enfant deviennent des classiques, c’est le cas de Moby Dick ou du Livre de la Jungle. L’enfant se lie facilement à ce type de personnage qui « fait leçon », qui lui apprend quelque chose plus ou moins indirectement : son rôle consistant à créer une identification immédiate avec le lecteur-enfant, une intimité qui va mener à l’émotion. La question de l’image et de l’illustration peut aussi apporter un certain rôle dans le critère de choix du lecteur actuel : un enfant peut ainsi se baser sur la curiosité et la beauté du contenu d’un ouvrage pour l’emprunter. En effet, lors de mon stage, un garçon de sept ans m’a avoué qu’il regardait souvent d’abord les images du livre et que si celles-ci lui plaisaient, il l’empruntait. Lorsque l’intérêt est en effet éveillé, l’enfant ou l’adolescent peut volontiers se mettre à lire tout ce qu’il pourra trouver sur un sujet en particulier : il dira alors qu’il « passera à autre chose » lorsqu’il aura épuisé toutes les données de la bibliothèque sur ce même sujet.
3. Le parti pris des événements organisés
La bibliothèque organise fréquemment des évènements culturels qui peuvent ainsi amener à donner des idées ou tout du moins à encourager les critères de choix du public de secteur jeunesse. En effet, il ne s’agit pas d’attendre impatiemment l’arrivée des lecteurs et de leurs questions, il faut aussi savoir susciter de la curiosité, donner envie au moyen d’animations, d’expositions et de rencontres afin de motiver le lecteur de littérature de jeunesse contemporain. C’est également un moyen de faire découvrir autour de présentations collectives d’autres œuvres et d’autres genres sur un sujet ou un thème particulier, ces thèmes pouvant être par exemple le cycle de la nature, la gourmandise, les couleurs, l’hiver ou encore les parfums comme j’ai pu le découvrir lors d’un heure de conte organisé durant mon stage à la bibliothèque de Beauchamp.
Des rencontres et des expositions sont également l’occasion de présenter des livres nouvellement enregistrés avant qu’ils « ne soient perdus dans la masse » ou au contraire des ouvrages sortant très peu, voire pas du tout. Ceux-ci peuvent alors avoir une chance de « trouver une nouvelle vie ». En effet, sans présentation active, un livre peut ne jamais être emprunté. Par ces rencontres et ces expositions, la bibliothèque est en mesure de donner envie aux lecteurs de se plonger dans de nouvelles lectures. C’est ainsi dans ces rares cas que plutôt que se laisser influencer par les nouvelles modes et les nouveaux critères d‘aujourd’hui, la bibliothèque peut influencer les choix du lecteur de littérature de jeunesse contemporain, en lui faisant découvrir des ouvrages qu’il ne connaissait pas et donc éveiller son intérêt sur de nouveaux genres.
Pour conclure, l’évolution du public du secteur jeunesse font que la bibliothèque est sans cesse dans l’obligation de revoir ses critères. Afin d’acquérir les livres adéquats et de présenter un rayon pouvant convenir à ses visiteurs, son travail de recherche est constant. D’autant plus que nous sommes dans une époque qui est dorénavant très portée sur le visuel, augmentant sa charge notamment sur la présentation des œuvres et les nouvelles éditions qui paraissent constamment. Enfin, nous pouvons constater aujourd’hui un certain décrochage de la lecture chez les jeunes, majoritairement dû au manque de temps, au passage à l’adolescence et surtout à Internet et autres réseaux sociaux. La lecture de livres et l’usage des bibliothèques publiques sont en effet directement confrontées au développement considérables des consommations audiovisuelles (écoute de la musique, visionnages de films). On passe de même d’une lecture simple à une lecture numérique grâce aux ordinateurs et aux liseuses, si bien que nous parlons dorénavant de bibliothèque numérique « dernier développement de l’action culturelle ».